Citation : La Tribune Côte d'Azur, juin 2005 - Caprioli & Associés, Société d'avocats, Propriété intellectuelle, www.caprioli-avocats.com Mise en ligne : juin 2005 Vers la légalisation du piratage numérique ? Par Eric A. Caprioli et Pascaline Vincent contact@caprioli-avocats.com
Les juges de Montpellier ont relaxé le 10 mars 2005 le pirate de Rodez et partant, relâché la bride qui tenait jusqu'alors les adeptes du téléchargement sur l'Internet en échec. Cet arrêt pourrait marquer le tournant d'une jurisprudence qui se voulait cohérente et déterminée plus à sanctionner qu'à éduquer ou, comme nous le pensons, être un arrêt marginal dans un flux jurisprudentiel constant. Pour le coup, il apparaît comme un relâchement plus qu'un revirement au regard des motifs adoptés par les juges au soutien de leur décision. Aurélien, l'étudiant en première année d'informatique à Rodez, avait fait l'objet d'une perquisition à son domicile qui avait permis de saisir quelques 488 cédéroms. Bien qu'alléguant n'avoir téléchargé illégalement qu'un tiers de ceux-ci, le jeune pirate s'était vu poursuivi pénalement pour contrefaçon par les Majors de l'industrie du Cinéma. Aussi était-ce contre toute attente que le tribunal correctionnel de Rodez avait adopté une position dissidente de celle jusque là adoptée par les juges en matière de téléchargement sur l'Internet en relaxant le pirate. C'est cette décision, surprenante en l'état de la jurisprudence actuelle, que la Cour d'appel de Montpellier a confirmée le 10 mars dernier sous couvert d'une application pour le moins laxiste de l'exception de copie privée. La Cour se fonde sur l'article L. 122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle pour confirmer le jugement de première instance. Aux termes de la discussion, il apparaît que la relaxe du pirate résulte plus d'une acceptation de sa bonne foi que de sa preuve contraire. C'est donc parce qu'il a déclaré n'avoir effectué que des copies pour un usage privé et parce qu'il n'est démontré aucun usage à titre collectif, hormis le visionnage de film avec ses copains que les juges ont admis l'exception pour copie privée. Il aurait été peut-être plus judicieux, dans un souci de cohérence et de meilleure appréhension de la Justice qu'ils appliquent, en parallèle à l'affaire Mulholland Drive (CA Paris, 22 avril 2005), les critères de validité de la copie privée édictés par la Convention de Berne et la Directive communautaire du 22 mai 2001 relative aux droits d'auteur et voisins. Il apparaît, en effet, peu cohérent que la copie privée soit plus facilement admise en matière de téléchargement sur l'Internet plutôt qu'en matière de copie de supports puisqu'aucune rémunération pour la copie privée n'est perçue sur les sites permettant ces téléchargements. Ce relâchement dans l'admission de l'exception pour copie privée pourrait se justifier économiquement en ce sens que le jeune pirate s'est acquitté de cette redevance en achetant les cédéroms ainsi saisis à son domicile. Cependant, cet argument relatif à la compensation financière des droits d'auteur n'est admis pour l'instant qu'en défense de l'apposition de système anti-copie sur des supports commercialisés. Il ne semble pas que la décision de Montpellier prenne en considération la dimension financière de l'exception de copie privée. Il semble au contraire que les juges posent, à défaut de preuve d'usage collectif, sinon une présomption d'usage privé des films téléchargés et gravés, du moins un bénéfice du doute en faveur du jeune pirate. En effet, aux termes de l'arrêt, " [les juges] ne peu[ven]t déduire de ces seuls faits que les copies réalisées ne l'ont pas été en vue de l'usage privé visé par le texte. " Faut-il pour autant déduire de cette solution qu'il n'est plus besoin de caractériser l'usage strictement privé des copies pour bénéficier de l'exception de copie privée ? Il semble que non. La décision de Montpellier soulage temporairement les pirates plus qu'elle ne les innocente définitivement. La Cour de Montpellier a, en effet, omis d'examiner la licéité des sources d'origine de l'ensemble des films téléchargés. On peut penser que l'exception de copie privée ne devrait pouvoir être invoquée que si la copie a été réalisée à partir d'une source légitimement acquise. La copie réalisée à partir d'une contrefaçon mise à disposition sur l'internet semble illicite. Relevons que le débat juridique est tronqué sur ce point et rien ne permet de déterminer la nature - marginale ou non - qui sera conférée à cet arrêt. De plus, en droit, une exception (de copie privée !) est toujours interprétée de façon restrictive. Il faudra attendre d'autres décisions pour poser un principe tant sur l'illégalité des téléchargements sur Internet que sur l'exception de copie privée ou bien une intervention du législateur lors de la transposition de la directive du 22 mai 2001 sur le droit d'auteur.