Jeudi 21 Mars 2013
Le régime des créations salariées : panorama et solutions

Citation : Caprioli & Associés, Le régime des créations salariées : panorama et solutions, www.caprioli-avocats.com Date de la mise en ligne : janvier 2008 Le régime des créations salariées : panorama et solutions Eric A. Caprioli Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit Isabelle Filipetti Avocat au Barreau de Nice, DESS droit du multimédia et de l'informatique (Paris II) Caprioli & Associés, société d'avocats (Nice, Paris) contact@caprioli-avocats.com


Plan I/ Le régime des créations en droit de la propriété intellectuelle A) Les oeuvres salariées B) Le cas particulier du logiciel II/ Le régime des créations en droit de la propriété industrielle A) Le champ d'application du régime légal des inventions salariées B) Le régime des inventions salariées de mission C) Le cas particulier du régime des inventions salariées hors mission attribuable : un droit de revendication pour l'employeur III/ Préconisation et solution : vers un renforcement des droits de l'employeur A) Le renforcement des clauses du contrat de travail : "un contrat sur mesure" B) Des inévitables clauses de cessions Conclusion


Bases de données, écrits, dessins, modèles, photographies, logiciels, brevets créés par des salariés, l'employeur est-il titulaire des droits sur ces créations ? La logique économique voudrait que la réponse soit positive, le salarié étant rémunéré dans le cadre de son contrat de travail pour ces créations ou inventions. Et pourtant, la logique économique est loin de correspondre à la réalité du régime juridique de la titularité des droits sur les créations. Bien au contraire... Et pour cause, le droit du travail et le droit de la propriété intellectuelle ne prennent pas en compte les mêmes impératifs… L'un protégeant l'employé dans le cade de son contrat de travail mais cherchant également à trouver un juste équilibre entre salarié et employeur, l'autre établissant la qualité d'auteur ou d'inventeur. Toutefois, il existe au sein de la propriété intellectuelle deux régimes bien distincts, celui de du droit d'auteur (I) et celui de la propriété industrielle (II). Ces deux régimes, sous réserve de l'exception concernant les logiciels, ne concilient pas les mêmes intérêts[1]. Si le droit d'auteur a tendance à favoriser l'auteur, la propriété industrielle concernant notamment les brevets a plutôt pour objectif d'inciter les entreprises à investir dans la recherche en créant un cadre législatif plus avantageux[2]. Face à ces différences d'esprit, d'intérêts et de logiques, quelle est la place de l'employeur dans la création des salariés alors que c'est l'employeur, lui-même et lui seul, qui donne aux salariés les directives et les moyens de créer les œuvres et les inventions inhérentes leurs fonctions ? Le contrat de travail est-il susceptible de contrebalancer les droits des salariés sur leurs créations et notamment sur les œuvres (III) ? La présente étude ne portera que sur les rapports privés employeurs/salariés et ne saurait de ce fait être applicables aux agents de l'Etat, des collectivités publiques et des établissements publics à caractère administratif.

I/ Le régime des créations en droit de la propriété intellectuelle Le droit de la propriété intellectuelle concerne principalement et historiquement le droit d'auteur, son "socle bicentenaire". Toutefois, la construction légale s'étant faite par étape, il conviendra d'étudier dans un premier temps les œuvres salariées (A), puis dans un second temps le logiciel qui relève d'un régime spécial dérogeant au principe classique du droit de la propriété intellectuelle (B). A) Les œuvres salariées a. Principe de base, la non-titularité de l'employeur sur les œuvres créées L'article L. 111-1 du CPI dispose : " L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création de la propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial qui sont déterminés par les livres I et III du présent code. L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1 ". Au regard de cet article, il relève de l'évidence que le droit d'auteur est le droit des créateurs. Le contrat de travail ne saurait donc emporter par le seul fait que l'auteur salarié est sous l'autorité hiérarchique de son employeur et, éventuellement employé dans le cadre d'une mission créatrice exclusive, la cession ab initio de l'œuvre à l'employeur. Selon le professeur Christophe Caron, " Salariat et droit d'auteur ne font pas bon ménage et leurs relations sont généralement passionnelles et exacerbées "[3]. Bien au contraire, l'œuvre relève de l'auteur et y demeure ainsi attachée et ce, même si l'œuvre a été conçue dans l'entreprise et avec les moyens de l'entreprise. A titre d'exemple, les traducteurs peuvent même être considérés comme auteur des traductions dès lors que celle-ci portent l'empreinte de leur personnalité[4]. Il en sera de même des graphismes ou des textes destinés à figurer sur les pages web de l'entreprise ou sur celles de ses clients, et qui ont été réalisées par un salarié de l'entreprise. Il en est de même des œuvres de commande passées à des tiers non salariés. Toutefois, la limite même à ce droit des créateurs réside dans la création elle même. En effet, pour que le créateur puisse être considéré comme auteur au sens de propriété littéraire et artistique encore faut-il que la création puisse revêtir les caractéristiques de " l'œuvre de l'esprit "[5] afin d'être protégée. Ainsi, les idées voire les idées publicitaires, les concepts sans concrétisation " formelle " ne saurait accéder cette qualification. Si tel est le cas, l'auteur salarié est titulaire du monopole d'exploitation des ces œuvres. Ainsi, il sera seul à décider de la reproduction et de la représentation[6] de son œuvre et sera susceptible d'en recueillir tous les bénéfices tant en termes d'image ou de renommée que de retombées financières. Au regard de l'employeur, ces droits dévolus à l'auteur salarié peuvent s'avérer à double tranchant. D'une part, l'employeur ne pourra utiliser la création salariale de son salarié sans en avoir obtenu l'autorisation par le bais d'une cession ou d'une licence consentie notamment en échange d'une contrepartie financière. A défaut de disposition contractuelle, il est donc clair que le pouvoir de négociation du salarié sera élevé face à son employeur. D'autre part, en cas de refus du salarié de divulgation de l'œuvre, l'employeur ne pourra en aucun cas utiliser cette dernière au risque d'être considéré comme contrefacteur de son propre salarié. Outre le droit patrimonial, le droit moral de l'auteur constitue une barrière infaillible à l'exploitation de l'employeur de l'œuvre salariée, celui-ci étant incessible, inaliénable et imprescriptible. Or, dans le cadre d'une relation salariée, le droit moral est en tous points opposé au pouvoir de gestion de l'Employeur. Et pour cause... L'auteur salarié disposant du droit de divulgation, le salarié garde à tout moment la faculté de choisir le moment de la diffusion de l'œuvre ainsi créée. Dans la même lignée, le droit de retrait et de repentir permet au salarié de mettre fin à l'exploitation de son œuvre ainsi divulguée sous réserve toutefois d'une indemnisation de l'employeur[7]. Même en cas de cession de l'œuvre à l'employeur, le salarié disposera toujours d'un droit de paternité lui assurant la reconnaissance de son oeuvre et lui permettant d'apposer son nom sur l'œuvre. Enfin, l'auteur salarié a droit au respect de l'œuvre et ce droit peut se révéler très contraignant pour l'employeur, l'œuvre ne devant subir aucune détérioration, modification, adaptation ou déformation sans l'autorisation du titulaire des droits. Dès lors, il en résulte que le droit de la propriété littéraire et artistique et le droit du travail ne sont conciliables qu'au prix d'un effort non négligeable de l'employeur. b. Une exception, l'œuvre collective ? L'article L.113-5 du CPI dispose " L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur "[8]. Au terme de l'article L. 113-2 alinéa 3 l'œuvre collective est " l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ". Même si la jurisprudence a tendance à retenir une conception très restrictive de l'œuvre collective, il apparaît que si l'employeur a réalisé des investissements liés à l'élaboration l'œuvre (atelier de création, fiches de paie, plans, etc.) mais également à son édition, celui-ci pourrait être considéré comme titulaire des droits patrimoniaux sur l'œuvre. Un important arrêt de la Cour de Cassation du 24 mars 1993 a décidé qu'une société d'édition " exploitait commercialement sous son nom les photographies litigieuses ; qu'en l'absence de toute revendication de la part de la ou les personnes physiques ayant réalisé les clichés, ces actes de possession étaient de nature à faire présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs que la société était titulaire sur ses œuvres, quelle que fût leur qualification, du droit de propriété incorporelle de l'auteur. "[9] Toutefois, l'employeur ne sera jamais considéré pour autant comme auteur de l'œuvre. En effet, l'ensemble des auteurs resteront investis du droit moral sur leur apport individuel. Ainsi, apparaît la limite même à cette notion permettant la qualification d'œuvre collective à une création salariée créée par un seul et unique salarié. De même, en cas de pluralité d'auteurs, les contributions de chacun des salariés ne devront en aucun cas être individualisables au risque de tomber sous la qualification d'œuvre de collaboration reconnaissant, quant à elle, à chaque auteur la part qui lui revient sur sa création tant au niveau des droit patrimoniaux que moraux. Les bases de données ainsi que les dessins et modèles peuvent particulièrement s'adapter à la notion d'œuvre collective, constituant de ce fait un moyen de faciliter l'exploitation des œuvres par les employeurs. A ce titre, le droit des bases de données[10] reconnaît au producteur (l'entreprise ou l'organisme) et non au créateur un droit sui generis sur la base de données, c'est à dire sur son contenu. Toutefois, pour bénéficier de la protection du droit sui generis, le producteur de la base devra établir la réalité de l'investissement substantiel de manière qualitative ou quantitative dans l'obtention, dans la constitution, dans la vérification et dans la présentation du contenu de la base. Toutefois, le droit d'auteur sur l'originalité de l'organisation de la base de données persistera sauf à l'employeur d'établir la qualification d'œuvre collective sur le contenant de la base c'est à dire dans son architecture. La dualité du régime droit d'auteur/droit des producteurs implique donc la coexistence difficile à concilier de deux droits bien distincts et par conséquence, la persistance du droit moral des auteurs salariés sur le contenant de la base. Concernant les dessins et modèles, il va de soi que le droit d'auteur s'applique sur les créations. Toutefois, l'employeur peut déposer un dessin ou un modèle et par l'effet de ce dépôt, être présumé en être le créateur en vertu de l'article L. 511-9 du CPI. Toutefois, il ne s'agit que d'une simple présomption qui peut être combattue par l'auteur salarié du dessin ou du modèle si l'œuvre n'est pas collective. Ainsi, il a été considéré que la réalisation d'un vêtement créé à l'initiative d'une société et divulgué sous le nom de cette société ayant pour activité la création et la fabrication de vêtement était une œuvre collective dans la mesure où les salariés ont réalisé un travail de styliste confié pour l'élaboration du vêtement à un atelier de modéliste et qu'ainsi, tous ont concouru à l'élaboration d'une œuvre qui n'est pas leur propriété commune et sur laquelle ils n'ont aucun droit d'exploitation[11]. La notion d'œuvre collective est donc une notion qui peut se révéler utile pour l'employeur aux fins d'accéder à l'obtention des droits patrimoniaux sur l'œuvre et à la maîtrise de l'exploitation de l'œuvre. Il est toutefois à noter que c'est seulement a posteriori et en cas de contestation que les juges statueront sur la qualification de l'œuvre éventuellement collective. Dès lors, l'employeur devra impérativement anticiper cette éventuelle qualification en établissant clairement sa position initiale et en se constituant au fur et à mesure de la réalisation de l'œuvre des preuves : investissement réalisé, rôle de direction de l'entreprise dans les contrats de travail et dans les fiches de missions, divulgation et présentation de l'oeuvre. B) Le cas particulier du logiciel Nombreuses sont les entreprises qui exploitent ou utilisent des logiciels développés par leurs salariés. L'article L. 113-9 du CPI dispose " Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leur fonction ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer ". Cette disposition a été introduite en droit français par la loi du 3 juillet 1985 relative à la protection des logiciels par le droit d'auteur[12]. Au terme de cet article, l'employeur devient le cessionnaire des droits d'exploitation sous réserve toutefois que le logiciel ait été créé dans l'exercice des fonctions du salarié. Dès lors, le rapport de force auteur salarié/employeur est inversé par rapport au schéma classique tel que visé supra : le créateur-salarié ne pouvant de ce fait exploiter sa création au risque d'en être lui-même contrefacteur et d'être victime d'un licenciement pour faute. Toutefois, ce régime dérogatoire emporte en lui même ses propres et " classiques " limites : le droit moral. En effet, le salarié reste titulaire du droit moral sur le logiciel créé, et ce même si ce droit est " atténué ". Ainsi, le salarié créateur se trouve dépossédé du droit de repentir ou de retrait ainsi que du droit au respect de l'œuvre, ne pouvant plus s'opposer à la modification du logiciel si celle-ci n'est préjudiciable ni à son honneur, ni à sa réputation[13]. Force est de constater qu'aucun aménagement ne concerne le droit de divulgation, lacune qui pourrait s'avérer gênante notamment en cas d'œuvre de commande. Toutefois, la doctrine majoritaire soutient la thèse selon laquelle l'auteur exerce son droit de divulgation lorsqu'il réalise le programme au titre duquel il est rémunéré. Enfin, la titularité des droits patrimoniaux de l'employeur sur le logiciel créé par son salarié ne porte que sur les programmes, composantes du logiciel (codes sources ou codes objet, interfaces) et la documentation. Les éventuelles interfaces graphiques ou audiovisuelles sont exclues. Dans ce cadre, le recours à la notion d'œuvre collective peut s'avérer utile à l'employeur afin d'assurer ses droits. En conséquence, sous réserve d'aménagements contractuels et sauf en ce qui concerne le logiciel et l'œuvre collective, le droit de la propriété intellectuelle réduit à une " peau de chagrin " les droits de l'employeur sur la création salariée couverte par le droit d'auteur. Dès lors, on peut s'interroger sur la situation juridique des créations salariées dans le domaine de la propriété industrielle. II/ Le régime des crations en droit de la propriété industrielle A l'inverse du droit d'auteur, le droit de la propriété industrielle est considéré comme intrinsèquement économique. Les marques, les brevets constituent des actifs incorporels d'une entreprise et contribuent de ce fait à son patrimoine alors que les créations des auteurs salariés sont faussement et malheureusement considérées comme dépourvues de valeur patrimoniale étant avant toute chose l'expression de la personnalité de son auteur. Cette différence d'appréciation a vraisemblablement amené le législateur en 1978[14] à réconcilier les intérêts de l'employeur face aux inventions de ses salariés en instituant un régime en tous points dérogatoires à celui du droit d'auteur[15]. En effet, sous réserve de conditions d'applications très strictes (A), l'employeur se trouve investi de l'ensemble des droits attachés à l'invention à condition qu'elle ait été réalisé dans le cadre de la mission inventive (B)[16], le régime juridique de l'invention du salarié hors de sa mission est un cas particulier (C). Nous n'aborderons pas la titularité des droits sur les marques dans la mesure où ils appartiennent au déposant d'une marque. Qu'elle soit verbale ou semi-figurative et que le terme ou le dessin, original, ait été créé par le salarié, celui-ci devrait être titulaire des droits sur sa création relevant du droit d'auteur. Toutefois, la réalité est autre dans le cadre d'un dépôt de la marque par l'entreprise. Le salarié ne pourra reprendre ses droits qu'à l'issue d'une action en revendication ou en dépôt frauduleux contre son employeur devant le Tribunal de Grande Instance[17] et ce, dans la limite de trois ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement de la marque. Dès lors, il ressort de cette brève analyse en droit des marques que, même si des éléments relèvent du droit d'auteur, ils n'appartiennent pas pour autant ab initio au salarié. Ce n'est souvent qu'au terme d'une longue et coûteuse procédure que les droits du salarié seront rétablis sous réserve encore que celui-ci soit en mesure de prouver qu'il en est l'auteur intellectuel. A) Le champ d'application du régime légal des inventions salariées A titre liminaire, le régime légal mis en place par la loi de 1978 ne concerne que les inventions brevetables réalisées postérieurement au 1er juillet 1979 et n'a qu'un caractère supplétif. En effet, celui-ci ne s'appliquera qu'à défaut de stipulation contractuelle plus favorable issue du contrat de travail ou d'une convention collective applicable à l'entreprise. La réglementation des inventions salariées relève de l'article L. 677-7 alinéa 1 et 2 du CPI lequel dispose : " Si l'inventeur est un salarié, le droit au titre de propriété industrielle, à défaut de stipulation contractuelle plus favorable au salarié, est défini selon les dispositions ci-après : 1. les inventions faites par le salarié dans l'exécution, soit d'un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à ses fonctions effectives, soit d'études et de recherches qui lui sont explicitement confiées, appartiennent à l'employeur. Les conditions dans lesquelles le salarié, auteur d'une telle invention, bénéficie d'une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail ". Dès lors le champ d'application de cette réglementation dépend de la qualité de l'inventeur (1) mais également de la classification de l'invention (2). A défaut d'application de cet article, le droit au titre de propriété industrielle appartient à l'inventeur ou à son ayant cause[18]. 1. Champ d'application quant aux inventeurs concernés L'article L. 677-7 du CPI ne s'applique qu'aux inventions réalisées par des salariés c'est à dire étant directement liées par un lien de subordination avec l'entreprise notamment par un contrat de travail. N'oublions pas que les inventions salariés représentent actuellement environ 90% des inventions brevetées, ce qui n'était pas le cas par le passé. Sont exclus les dirigeants sociaux ainsi que les stagiaires[19] sauf à ce que la convention de stage ou autres stipulations contractuelles définissent expressément et de manières précise la dévolution à l'entreprise des droits sur toutes inventions réalisées dans le cadre des missions inventives confiées au stagiaire. L'existence du contrat de travail s'apprécie à la date de l'élaboration de l'invention et non à la date du dépôt de la demande de brevet ou d'une demande de brevet PCT. De surcroît, seules les inventions salariées relevant de contrat de travail français entrent dans le champ d'application de la loi de 1978. En d'autres termes, un salarié travaillant à l'étranger dans une filiale reste soumis à ce régime spécial dès lors que son contrat de travail relève du droit français. 2. Champ d'application quant aux inventions D'une part, l'article L. 611-7 du CPI ne s'applique qu'aux inventions brevetables. D'autre part, seules les inventions de service ou de mission appartiennent de droit à l'employeur. Ces inventions sont réalisées par le salarié en exécution d'une mission qui lui a été confiée par son contrat de travail. On comprend dès lors toute l'importance de la rédaction du contrat de travail lequel devra déterminer avec précision les missions confiées au salarié qu'elles soient temporaires ou permanentes. Dès lors, des avenants devront impérativement être conclus aux fins d'englober de nouvelles missions afin qu'il ne puisse exister de doute quant aux missions confiées et ce d'autant plus, si elles sont ponctuelles. A contrario, toutes les autres inventions dites " hors mission " appartiennent aux salariés inventeurs sous réserve toutefois du cas particulier des inventions attribuables que nous étudierons ci après (C). B) Le régime des inventions salariées de mission Dans le cadre de l'article L. 611-7 du CPI , les inventions de mission appartiennent à l'employeur lequel a seul le choix de la protection de l'invention et de son mode de protection : brevet, accord secret, etc. Le dépôt du brevet sera fait au nom de l'employeur mais l'inventeur salarié, sauf en cas de refus de sa part, doit en tout état de cause être désigné en qualité d'inventeur dans le brevet afin d'instituer une sorte de droit moral " allégé " en droit de la propriété intellectuelle. Si la loi de 1978 considérait que le salaire du salarié était la seule contrepartie de l'activité inventive du salarié, la loi de 1990[20] pose le bénéfice d'une rémunération supplémentaire dont la fixation du supplément de salaire revient aux parties dans le cadre du contrat de travail ou accord, ou aux partenaires sociaux (convention collectives) ou, à défaut d'accord entre l'employeur et le salarié, à une Commission Nationale des Inventions de Salariés (CNIS) ou aux Tribunaux. Toutefois, la loi ne fixe aucun repère quant à la fixation de cette rémunération. Il a été décidé que les clauses des conventions collectives ou du contrat de travail moins favorables aux salariés que le régime légal étaient nulles ou inopposables au salarié[21]. De surcroît, en cas de silence des conventions collectives, ou de clauses dans le contrat de travail voire d'accord, c'est aux Tribunaux ou à la CNIS que revient le soin de fixer la rémunération. La CNIS alloue généralement trois à quatre fois le montant mensuel de l'inventeur. C) Le cas particulier du régime des inventions salariées hors mission attribuable : un droit de revendication pour l'employeur Bien qu'en dehors des inventions de mission, toutes les inventions réalisées par le salarié lui appartiennent, l'employeur pourra toutefois revendiquer l'attribution des inventions hors mission attribuables, c'est à dire les inventions présentant un lien avec l'entreprise. A ce titre, il est prévu à l'article L. 611-7 alinéa 4 : " 2. Toutes les autres inventions appartiennent au salarié. Toutefois, lorsqu'une invention faite par un salarié soit dans le cours de l'exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l'entreprise, soit dans la connaissance ou l'utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l'entreprise ou de données procurées par elle, l'employeur a le droit dans des conditions et délais fixés en Conseil d'Etat, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l'invention de son salarié. Le salarié doit en obtenir un juste prix qui, à défaut d'accord entre les parties est fixé par la commission (...) ". Tel est le cas par exemple lorsque le salarié n'est investi d'aucune mission inventive mais d'une autre fonction dans l'entreprise et, à l'occasion de cette dernière, qu'il a réalisé une invention. Ainsi l'employeur ne voit conférer une importante prérogative d'attribution soit sur une demande de brevet déjà déposée, soit sur le brevet en lui même, sous réserve d'en acquitter non pas une rémunération supplémentaire mais un " juste prix " ; ce dernier étant souvent évaluée forfaitairement par les Tribunaux. Cette solution peut se révéler intéressante pour le salarié eu égard notamment au prix d'un dépôt de brevet auprès de l'INPI mais également au regard de l'acquittement des annuités et des frais d'extension du brevet initial (traduction, antériorités, ...). Dès lors, on peut constater que le régime applicable au inventions salariées est favorable à l'employeur en contrepartie de quoi, il supportera tous les risques quant aux inventions. Ce régime est en opposition avec celui instauré par le droit d'auteur favorisant l'auteur. Deux régimes... deux logiques... Pourtant, c'est l'aspect même de la création ou de l'innovation qui devrait être pris en compte représentant tant au regard du droit d'auteur qu'au regard du droit des brevets une valeur patrimoniale particulièrement forte. Le contrat de travail est-il susceptible de contrebalancer les droits des salariés sur leurs créations et notamment sur les œuvres de l'esprit relevant du droit d'auteur ? Les relations de travail peuvent-elles constituer une limite aux droits des salariés ? III/ Préconisation et solution : vers un renforcement des droits de l'employeur Aux fins de tenter d'unifier le régime des propriétés intellectuelles et industrielles et afin de protéger l'employeur dans le cadre de ses relations de travail avec son salarié, il est indispensable de renforcer les dispositions du contrat de travail (A) ainsi que de prévoir des actes de cessions (B) au fur et à mesure de l'achèvement des créations. Ces renforcements contractuels permettront dans la mesure du possible de transmettre non seulement des droits à l'employeur mais également de donner à ce dernier certaines prérogatives. A) Le renforcement des clauses du contrat de travail : "un contrat sur mesure" Le contrat de travail a pour effet de régir les relations employeur salariés sous réserve toutefois de ne pas être en violation avec les dispositions relatives au droit du travail et aux conventions collectives applicables aux entreprises concernées. En premier lieu, il est recommandé d'inclure dans le contrat de travail une clause de cession des droits patrimoniaux sur les créations du salarié. En second lieu, il est nécessaire que le contrat de travail prévoit une obligation d'information de l'employeur concernant toute création ou invention créée par le salarié ayant un lien direct ou indirect avec sa fonction, le domaine d'activité de l'entreprise mais également les informations ou méthodes accessibles dans l'entreprise. Une telle clause alliée au droit de préférence serait susceptible de permettre à l'employeur de bénéficier d'un droit de préférence sur les créations à l'image du régime des inventions salariées hors missions attribuables telles qu'étudiées ci-avant. Outre les conditions limitées du droit de préférence telle que définie à l'article L. 132-4 du CPI, le salarié serait en violation des ses obligations contractuelles s'il ne présentait pas à son employeur les œuvres achevées pouvant ainsi entraîner un licenciement pour faute. Le salarié pourrait même être considéré comme contrefacteur s'il exploitait l'œuvre alors que son employeur lui avait fait connaître sa volonté de lever l'option. De même, une clause de loyauté contractuelle ainsi que de coopération serait également susceptible de pallier la barrière du droit moral qui reste en toute état de cause attaché à l'auteur. Enfin, une obligation d'information de l'employeur préalablement à toute utilisation d'élément ou d'informations, moyens et méthodes appartenant à l'entreprise est impérative notamment dans le cadre d'une utilisation indirecte aux fonctions principale du salarié, celle-ci permettant à tout moment à l'employeur de contrôler l'activité créatrice du salarié voire d'y mettre un terme. Autant d'éléments qui impliquent la prise en compte de la personne même du salarié mais également de ses fonctions afin de rédiger un contrat sur mesure. B) Des inévitables clauses de cessions Si la cession des œuvres globales des œuvres futures sont prohibées[22], il est tout à fait possible de procéder à une cession au cas par cas suivant les conditions fixées à peine de nullité de la cession de l'article L. 131-3 du CPI. Il est toutefois à noter que la rédaction d'une telle clause doit être soignée et précise. Afin de s'entourer d'une sécurité juridique plus forte, une clause plus générale devrait également être insérée au sein du contrat de travail sans pour autant constituer une clause de cession des oeuvres futures prohibées mais fixer le salarié sur l'esprit de son employeur quant à l'exploitation des créations réalisées dans le cadre du contrat de travail.

Notes [1] André Lucas et Henri-Jacques Lucas, Traité de propriété littéraire et artistique, Paris, Litec, 3ème éd., 2006 et Christophe Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Paris, Litec, 2006. [2] Jean-Marc Mousseron, Traité des brevets, Paris, Litec, Tome I, 1984 ; Michel Vivant, Le droit des brevets, Dalloz, Connaissance du droit, 2ème éd., 2005 [3] Christophe Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Paris, Litec, 2006, n° 200 et sur le régime juridique de l'auteur salarié : v. n°200 et s. [4] Cass. civ. 1ère, 11 février 1970 : D. 1970, p.227. [5] Il n'existe pas de définition légale de l'œuvre dans le cadre du CPI. Au regard des articles L.112-1, L.112-2 et suivants du CPI, les œuvres doivent être des créations originales peu importe " le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ". L'originalité de l'œuvre implique que celle-ci doit être empreinte de la personnalité de l'auteur et qu'il n'existe pas d'antériorité. [6] Articles L. 122-1 et suivants du CPI. [7] Article L. 121-4 du CPI. [8] Pierre-Yves Gautier, Propriété littéraire et artistique, P.U.F., 5ème éd., 2004, n°383 et s. [9] Cass. civ. 1ère, 24 mars 1993, R.I.D.A. 1993, n°158, p.191, obs. Keverer ; R.T.D.com. 1994, p.418, obs. André Françon. [10] Loi n° 98-536 du 1er juillet 1998, v. l'article sur le site : www.caprioli-avocats.com [11] Paris, 2 décembre 1986, Ann. propr. ind. 1987, 226 ; Paris, 8 octobre 1988, Cahiers du droit d'auteur, 1989, n°1989, n°13, p.25. [12] V. André Lucas, Droit de l'informatique, P.U.F., 1987, n°199 à 208. [13] Article L. 121-7 du CPI. [14] Loi n° 78-742 du 13 juillet 1978 modifiant et complétant la loi de 1968. [15] Mariane Mousseron, Les inventions de salariés, Litec, 1995. [16] Albert Chavanne, Jean-Jacques Burst, Jacques Azema, Jean-Christophe Galloux, Droit de la propriété industrielle, Paris, Dalloz, 6ème éd ., 2003. [17] Article L. 712-6 du CPI. [18] Joanna Schmidt-Szalewski et Jean-Luc Pierre, Droit de la propriété industrielle, Litec, 3ème éd., 2003, spéc. n°53 et s. [19] Cass. com, 25 avril 2006, M.C c/ CNRS, pourvoi n° 04-19.482, Propriété industrielle, septembre 2006, p.15-16, note Jacques Raynard. [20] Loi n°90-1052 du 26 novembre 1990. [21] Cass. com, 22 février 2005, M/X c/ SA ADG, Bull. civ., IV, n° 35 p. 40. [22] Article L.131-3 du CPI. Sur la cession des œuvres futures, v. Pierre-Yves Gautier, op. cit., n°274 et s. ; Christophe Caron, op. cit., spéc. n°409 et 433 et s.


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  • Ajouté : 21-03-2013
  • Modifié : 24-11-2013
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