Mercredi 19 Septembre 2018
Eric A. Caprioli, avocat à la Cour, revient sur la réglementation et la valeur juridique des écrits électroniques par échange de mails.
Les transactions électroniques sont dans tous les domaines d’activité. Et depuis la loi du 13 mars 2000, l’écrit sur support électronique avait la même force que celui sur support papier. Un nouveau pas a été franchi dans une décision de la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère 11 juillet 2018 n° 17-10.458) en matière de reconnaissance de l’écrit électronique.

Cet arrêt reconnait d’une part, l’échange de courriels comme preuve de la rencontre de l’offre et de l’acceptation si la loi n’impose pas un acte juridique unique (en l’espèce un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive) et d’autre part, la validité du message électronique peut par nature constituer l’écrit qui concentre les engagements respectifs des parties.

Un échange de courriels en matière de mandat sportif

Une société titulaire d’une licence d’agent sportif a assigné une autre société (un club de football) en paiement d’une somme représentant le montant d’une commission qu’elle estimait lui être due en vertu d’un mandat dont bénéficiait cette société aux fins de négocier le transfert d’un joueur. Elle demandait en outre le paiement de dommages-intérêts. L’article L. 222-17 du Code du sport dispose que le contrat doit être écrit et comporter certaines mentions. Toute convention contraire au texte est réputée nulle et non écrite. Or, en l’espèce, le mandat résultait d’un échange de courriers électroniques entre l’agent sportif et la société anonyme sportive professionnelle.

Dura lex, sed lex

Sur le fond, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en ce qu’il avait retenu que les courriels échangés ne sont pas regroupés en un seul et même document qui contient les mentions obligatoires prévues à l’article L. 222-17 du Code du sport. Selon elle, ledit article n’impose pas que le contrat soit établi sous la forme d’un acte écrit unique. « Attendu que, pour rejeter les demandes de la société AGT UNIT, l’arrêt retient que les courriels échangés par les parties, qui ne regroupent pas dans un seul document les mentions obligatoires prévues par l’article L. 222-17, ne sont pas conformes aux dispositions de ce texte ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 222-17 du code du sport n’impose pas que le contrat dont il fixe le régime juridique soit établi sous la forme d’un acte écrit unique, la cour d’appel, en ajoutant à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé ».
 
La solution est tout à fait juste, n’oublions pas le fameux adage « La loi est dure, mais c’est la loi ». Elle constitue aussi un rappel quant au contenu du courrier électronique qui peut caractériser un engagement juridique. L’arrêt du 11 juillet 2018 va encore plus loin puisqu’il ne s’agit pas d’un seul, mais de plusieurs courriers électroniques qui permettent d’établir l’acte juridique engageant les parties.
La solution est aussi qu’en matière commerciale (B2B), selon l’article L. 110-3 du Code de commerce, la preuve peut être rapportée par tout moyen, y compris donc par le contenu de plusieurs écrits électroniques. Enfin, s’agissant de la non exigence d’une signature électronique, la décision du 11 juillet 2018 retient l’attention.

L’apposition d’une signature électronique n’est pas toujours nécessaire

Dans l’arrêt du 11 juillet 2018, la Cour d’appel retenait d’autre part, qu’un message électronique ne pouvait par nature constituer l’écrit concernant les engagements respectifs des parties. Cependant, la Cour suprême au visa des articles L. 222-17 du Code du sport et 1108-1 (devenu art. 1174) du Code civil estime « qu’il résulte du dernier texte lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 et 1316-4 (devenus 1366 et 1367) du code civil, alors en vigueur » et de préciser « Attendu que, pour statuer comme il le fait, l’arrêt retient qu’un message électronique ne peut, par nature, constituer l’écrit concentrant les engagements respectifs des parties ; Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
 
Par conséquent, selon la Cour, les mails échangés permettent remplir les exigences de l’écrit : dûment identifier les personnes dont l’acte émane et en garantir l’intégrité (art. 1316-1 du Code civil. Devenu 1366 du Code civil).

Les faits rappellent deux arrêts de la Cour d’appel de Caen du 5 mars 2015 (n° 13/03009 et 13/03010) qui avaient consacré le mandat électronique. Cependant, la validité du mandat était suspendue à la validité de la signature de ce dernier.
 
Tel n’était pas le cas dans l’affaire du 11 juillet 2018. Un mail remplit également les conditions de l’article 1316-4 du code civil (devenu article 1367 du Code civil). « La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte. (…) Lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache.(…) ». Mais la preuve contraire de l’absence des exigences de l’écrit et de la signature aurait pu être apportée, ce qui n’a pas été le cas.

Adopter une politique contractuelle prudente

Cet arrêt rappelle le principe d’équivalence probatoire entre les supports de l’écrit (électronique et papier). Ils ont la même force probatoire mais aussi en qui concerne la validité d’un contrat (toutes les conditions de l’article L. 222-17 du Code du sport étant remplies).
 
La Cour de cassation a fait preuve de pragmatisme. La décision encourage enfin l’utilisation de l’écrit électronique qui est un atout dans les relations d’affaires (fiabilité, célérité, formalisme simplifié…).
Cependant, pour de ne pas être surpris par un partenaire commercial au fait de la jurisprudence, la vigilance doit être de mise spécialement lorsque les engagements contractuels se traduisent par des courriers électroniques. Tous les échanges interprofessionnels devront faire l’objet d’une attention particulière. Les entreprises devront sensibiliser leurs salariés à cette thématique en prévoyant une utilisation raisonnée de leurs outils de communications électroniques. Une politique d’archivage cohérente afin de conserver toutes les preuves des échanges B2B (mails, établissement de fichiers de preuve) devra aussi être mise en place.

Eric A. CAPRIOLI, Avocat à la Cour, Docteur en droit, membre de la délégation française aux Nations Unies, Vice-Président de la FNTC et du CESIN. Société d’avocats membre du Réseau JurisDéfi.

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  • Ajouté : 19-09-2018
  • Modifié : 22-02-2019
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