Citation : Eric A. Caprioli, Les contrats informatiques face à la jurisprudence récente, www.caprioli-avocats.com Première publication : avril 2008 Les contrats informatiques face à la jurisprudence récente (Cass. com. 13 février 2007) Eric A. Caprioli, Docteur en Droit contact@caprioli-avocats.com
Quel que soit l’objectif poursuivi (amélioration et rationalisation des performances, conformité légale, …) les entreprises ont souvent besoin de recourir aux services de sociétés de services informatiques (SSII et SSLL pour les logiciels open source) ou d’éditeurs de logiciels. Cependant, il arrive que les installations, livraisons de logiciels et les prestations promises associées ne soient pas ou mal réalisées. D’où l’intérêt de bien négocier les différentes clauses qui sont susceptibles d’être préjudiciables au projet. Ces difficultés peuvent concerner les recettes des lots prévus (les réceptions avec ou sans réserve), la nature des obligations souscrites (moyen, résultat, engagement de résultat sur certains critères quantifiables), les droits de propriété intellectuelle, les limites et/ou exclusions de responsabilité, les engagements de services en matière de maintenance, la formation. Dans la plupart des hypothèses, les sociétés de services informatiques imposent souvent à leurs clients des obligations de moyens, alors que les intérêts de ces derniers ne sont pas toujours garantis. Le CIGREF (Club informatique des grandes entreprises françaises, www.cigref.fr) lors de son assemblée générale d’octobre 2007, a demandé aux SSII (et aux SSLL) de souscrire des engagements de résultat (sur les obligations essentielles, le respect des délais, la qualité de services, …), en lieu et place de leur obligation de moyens (ex : faire tous ses efforts). Ce type d’engagement a pour conséquence juridique de mettre l’entreprise mécontente dans l’obligation de prouver la faute de son prestataire, ce qui est relativement délicat et qui nécessite souvent une expertise judiciaire. Dans certaines hypothèses, les contrats peuvent être complexes et avoir pour objet la réalisation d’un ensemble informatique complet ou de tout ou partie d’un système d’information. Tel était le cas dans une affaire Faurencia contre Oracle jugée par la Chambre commerciale de la cour de cassation le 13 février 2007 (publiée sur le site www.legifrance.gouv.fr). Une société avait contracté avec un fournisseur afin de disposer d’un progiciel intégré destiné à la gestion commerciale et la gestion de la production de ses sites. A côté des licences d’utilisation (pour 2890 utilisateurs) sur le progiciel, il était prévu des prestations d’intégration, de mise en œuvre, de maintenance et de formation, le tout étant contracté avec une seule et même entité, la société Oracle. Or, la solution provisoire connaissant de graves difficultés et la version définitive n’étant jamais livrée, le client a cessé de régler les redevances. Assignée par l’établissement de crédit cessionnaire des créances d’Oracle, la société cliente a appelé Oracle en garantie et l’a assigné pour obtenir la résolution de tous les contrats signés. La Cour d’appel a prononcé la résolution partielle de la licence et la résiliation des autres contrats. Mais en condamnant Oracle à la prise en charge des redevances cédées, elle a fait jouer la clause limitative de responsabilité étant donné que la cliente n’avait pas caractérisé la faute lourde du fournisseur, ce qui pénalisait fortement la cliente. La Cour de cassation a donc du tranché deux points : l’interdépendance des contrats et l’application de la clause limitative de responsabilité. S’agissant de savoir si les contrats étaient indépendants et donc s’il fallait leur appliquer la règle de l’indivisibilité, la Cour de cassation considère qu’«ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licence par la société Faurencia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en œuvre n’était pas exécuté ». « Oracle s’était engagée à livrer la V12 du progiciel, objectif final des contrats conclu en septembre 1999 », (…), « elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, (…) il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation. » La Cour casse et annule l’arrêt d’appel sur ce point en visant l’article 1131 du code civil. En conséquence de quoi, l’obligation de délivrer la chose promise (l’intégration et le fonctionnement du progiciel de gestion intégrée) est jugée comme étant essentielle, et n’ayant pas été remplie la clause limitative de responsabilité est écartée. Les créances cédées doivent donc être payées à l’établissement de crédit par le fournisseur. La reconnaissance de la livraison en tant qu’’obligation essentielle a pour conséquence de mettre à la charge du prestataire de services une obligation de résultat, le seul moyen pour le fournisseur de s’en départir aurait été d’établir un cas de force majeure ou le fait du client. La technique contractuelle est donc plus que jamais nécessaire pour garantir un réel équilibre contractuel et la stabilité dans les relations entre les prestataires et leurs clients.