Vendredi 08 Novembre 2013
Archivage électronique et nouvelle loi sur la prescription en matière civile

Par Éric A. CAPRIOLI, Avocat à la cour, docteur en droit, Caprioli & Associés, société d’avocats (Paris, Nice) chargé d’enseignement à l’université de Paris II (Panthéon-Assas) ARCHIVAGE ÉLECTRONIQUE ET NOUVELLE LOI SUR LA PRESCRIPTION EN MATIÈRE CIVILE 141 Les apports de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile

Pour accéder à la version en PDF, cliquer ici La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 vient bouleverser la donne en matière d’archivage des documents pour les entreprises qu’ils soient sous forme papier ou électronique. Tant la durée que les conditions de prescription, d’interruption et de suspension de ce délai sont modifiées et devront être prises en compte pour que l’archivage soit réalisé en conformité juridique. L. n° 2008-561, 17 juin 2008 : JO 18 juin 2008, p. 9856 NOTE : 1 - La loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription civile vient moderniser les règles applicables en la matière (pour une analyse approfondie de la loi, V. F. Ancel, La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile :Gaz. Pal. 11-12 juill. 2008, p. 2118. - S. AmraniMekki, Liberté, simplicité, efficacité, la nouvelle devise de la prescription ? : JCPG 2008, I, 160. - L. Leveneur, Réforme de la prescription : trois petits tours au Parlement et quelques questions : Contrats, conc. consom. 2008, comm. 195. - A. Pimbert, Publication de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : Contrats, conc. consom. 2008, alerte 48. - B. Fauvargue-Cosson et J. François,D.Mazeaud et R.Wintgen, J. Latournerie, V. delnaud, F. Limbach, J.-M. Laithier, B. François,Dossier Réforme de la prescription : D. 2008, p. 2511 et s. - H. de Vauplane, J.-J. Daigre, B. de St Mars, J.-P. Bornet,Droit financier et boursier : Banque et droit 2008, chron. 120, p. 28). Paradoxalement, le texte est le fruit de travaux préparatoires fouillés et des débats et votes à l’Assemblée et au Sénat relativement rapides. 2 - Tout d’abord un premier constat : le groupe de travail de la Chancellerie a identifié plus de 250 délais de prescription différents allant de unmois à trente ans (en ce sens, V. Banque etDroit, Chronique préc. p. 28, col. 2. - J.-J. Hyest, Exposé des motifs de la proposition de loi n° 432 : Sénat, 2 août 2007. - V. également, É. A. Caprioli, Variations sur le thème du droit de l’archivage dans le commerce électronique : LPA 18 et 19 août 1999, p. 4 et s.). Cette « collection » de délais témoigne de la grande complexité des situations juridiques ; elle s’est constituée au fil des besoins et du temps depuis 1804 sans remaniement de fond ! Ensuite un second constat : l’analyse de la concurrence des systèmes juridiques en Europe plaidait en faveur d’une simplification et d’une réduction de la prescription de droit commun : trois ans en Allemagne, six ans au Royaume-Uni, dix ans en Italie et en Suède (D.Mazeaud et R.Wintgen, La prescription extinctive dans les codifications savantes : D. 2008, p. 2523 et s.). La réduction de l’espace et du temps dans les communications a considérablement changé la donne par rapport aux critères valables au début du XIXe siècle. Les délais, y compris celui de dix ans, étaient résolument trop longs. Enfin, la question du coût de l’archivage dans la durée parachevait l’intérêt d’une réduction des délais (Rapp. n° 83 auprès du Sénat déposé par M. Laurent Béteille, 14 nov. 2007 : http:// www.senat.fr/rap/l07-083/l07-083.html - Rapp. n° 847 auprès deAN par M. Émile Blessig, 30 avr. 2008 : http://www.assembleenationale.fr/13/rapports/r0847.asp - Rapp. n° 358 auprès du Sénat déposé par M. Laurent Béteille, 28 mai 2008 : http://www.senat.fr/ rap/l07-358/l07-358_mono.html). Plus on archive longtemps, plus les coûts sont importants, peu importe qu’il s’effectue sous forme papier ou électronique.On soulignera que sous forme électronique, la durée s’ajoute à la complexité de l’archivage électronique dans la mesure où les migrations de supports et de formats présentent des difficultés délicates à résoudre dans la durée, surtout si les documents, objets de l’archivage, ont été signés au moyend’une signature électronique répondant aux exigencesdes articles 1316 et suivants du Code civil (soit on utilise des services de gestion de preuve, soit il faudra prévoir des procédures de sur-signature). Il ne sera pas question dans cette chronique de présenter en détail le texte, mais plutôt de souligner les principales caractéristiques et certaines conséquences qui affectent l’archivage en général et électronique en particulier. 3 - La réforme opère une distinction formelle entre les règles applicables à la prescription extinctive et celles applicables à la prescription acquisitive. Désormais, le Livre III du Code civil comporte le Titre XX modifié (extinctive) et le nouveau Titre XXI (acquisitive). Mais la frontière entre les deux reste poreuse étant donné que 28 articles du Titre XX s’appliquent aussi au Titre XXI conformément au nouvel article 2259 du Code civil (L. Leveneur, article préc., p. 14). Elle traite également des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription des causes de renonciation ou encore d’interruption à la prescription. Le nouveau texte, de portée générale, a des conséquences importantes dans le cadre de l’économie numérique dans la mesure où il a une incidence directe sur l’archivage électronique. En effet, la loi réduit le nombre et la durée des délais et elle simplifie le décompte de la prescription extinctive. Or, « l’article 2223 nouveau du Code civil réserve l’application des règles spéciales prévues par d’autres lois (ce qui recouvre les lois non codifiées, mais aussi celles qui sont recueillies dans des codes), à laquelle les dispositions issues de la réforme ne font pas obstacle » (L. Leveneur, article préc., p. 14). 4 - La prescription civile de droit commun était jusqu’alors fixée à une durée de trente ans.Cette prescription entraîne l’extinction d’un droit par non-usage de ce droit pendant un laps de temps déterminé ou d’une action résultant du non-exercice de celle-ci. Désormais, l’article 2224 du Code civil prévoit : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Par exemple, les actions en paiement de sommes à caractère indemnitaire, celles portant sur une réclamation postérieure à l’exécution d’un contrat, auparavant soumises à la prescription trentenaire, seront désormais soumises à la prescription quinquennale. La prescription de cinq ans s’applique uniquement aux actions personnelles ou mobilières, catégories qui risquent d’être sujettes à interprétation. Le point de départ du délai est une autre question fondamentale que semble régler le texte. Pourtant, rien n’est moins sûr étant donné que la formulation du point de départ reste relativement souple au point que l’on peut le qualifier de « délai-glissant ». La date de prise d’effet de la prescription dépend de la connaissance de faitspar le titulairedudroit luipermettantde l’exercer. Face aux incertitudes que l’expression laisse planer (le critère n’est pas objectif), la loi fixe un délai-butoir de « vingt ans à compter du jour de la naissance du droit » (C. civ., art. 2232). Sur le plan de la durée de conservation des actes concernés, l’archivage devrait permettre de restituer des preuves sur la formation et l’exécution d’un contrat donné, pendant une durée de vingt ans. En outre, cette situation se complexifie encore avec la mise en oeuvre de : – l’interruption qui efface le délai de prescription acquis (C. civ., art. 2231). Elle fait en principe courir un nouveau délai de même durée que l’ancien. En outre, les nouvelles conditions entourant l’interruption du délai de prescription sont fixées aux articles 2240 et suivants du Code civil ; – la suspension de la prescription qui en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru (C. civ., art. 2230). Les articles 2233 et suivants nouvellement intégrés dans le Code civil en constituent le nouveau cadre. Mais la personne chargée d’assurer sa conservation pourra tout de même décider de réduire le délai d’archivage en se fondant non plus sur une analyse juridique,mais sur une analyse de risque économique (avantages/coûts – inconvénients/risques). 5 - Dans un souci, toujours plus marqué, de protection des consommateurs et autres non-professionnels, les articles L. 137-1 et L. 137-2 duCode de la consommation prévoient que le délai de la prescription extinctive est porté à deux ans pour l’action des professionnels pour les biens et services qu’ils fournissent aux consommateurs. Une autre innovation doit être signalée : la loi autorise, sous certaines conditions, l’aménagement contractuel des délais.Ainsi les parties peuvent, dans le cadre de leurs contrats, aménager conventionnellement les délais de prescription : en les abrégeant jusqu’à une durée minimum d’un an, et en les allongeant jusqu’à une duréemaximumde dix ans. Par ce biais, certains risques juridiques pourront être appréhendés en jouant sur la prescription. Cependant, cette faculté est interdite dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs (C. consom., art. L. 137-1) et dans les contrats d’assurance (C. assur., art. L.14-3).Contrairement à la prescription acquisitive (C. civ., art. 2250), on ne peut pas renoncer laprescriptionextinctive (B. Fauvarque-Cossonet J. François, Commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : D. 2008, chron. p. 2521). 6 - Lesdispositionsde la loiqui allongent laduréed’uneprescriptions’appliquent lorsque ledélaideprescriptionn’étaitpas expiré au19 juin2008 (L.n° 2008-561, 17 juin2008, art. 26, I). Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. S’agissant des dispositions de la loi qui réduisent la durée de la prescription, elles s’appliquent aux prescriptions à compter du 19 juin 2008, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (L. n° 2008-561, art. 26, II). Enfin, lorsqu’une instance a été introduite avant le 19 juin 2008, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne (L. n° 2008-561, art. 26, III). Étant donné que la conservation des preuves des documents papier constitue un coût très important pour les entreprises, cette modernisation de notre droit rend notre système juridique plus compétitif face à la concurrence des autres systèmes dont les délais de prescription étaient plus courts et par conséquent, plus attractifs en terme de droit applicable. Cependant,pour aller jusqu’auboutde la logiquede l’économie de coûts d’archivage, il est opportun que le Code civil soit égalementmodifié afindepermettre ladestructionvolontairedesoriginaux papier dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une numérisation fiable sous forme de copies (C. civ., art. 1334 et 1348, al. 2). Ces modalités de destruction devraient être encadrées par un décret prévoyant la procédure à suivre de sorte que la fiabilité et la fidélité des copies à l’original papier soient préservées.On peut ajouter que cette disposition aurait lemérite de s’inscrire dans le cadre du développement durable des entreprises en supprimant l’obligation d’un archivage de documents papier lorsque le document a été créé pour la première fois sous cette forme. 7 - Parmi les difficultés pratiques qu’il conviendra de gérer figure celle de l’application de la loi dans le temps : il sera nécessaire de tenir compte des exigences antérieures au 19 juin 2008 (date d’entrée en vigueur) pour certains documents et d’autres prescrites par la loi nouvelle pour ceux qui sont postérieurs à son entrée en vigueur. Les délais de prescription des documents commerciaux seront de dix ans pour les premiers et de cinq ans pour les seconds (C. com., art. L. 110-4). Pour unmême type de documents (par exemple : facture ou contrat commercial), l’archivage sera différent selon sa date de naissance du droit qui peut être contractuelle ou fixée en tant que « délai-butoir ». Ce texte sera incontournable lors de la mise en place de politiques et procédures de l’archivage électronique spécialement sur le plan des durées de conservation en intégrant par précaution les nouveaux délais-butoirs. Toutefois, ces délais seront à combiner avec tous les autres textes spécifiques applicables à la conservation (délais préfix comme par exemple ceux qui existent en matière fiscale ou sociale ou encore dans un autre domaine, l’anonymisation prescrite par la CNIL) et aux prescriptions « spéciales ». À n’en point douter, cela laisse augurer pour les personnes en charge de l’archivage et de la sécurité de l’information de beaux échanges avec leurs juristes...

Éric A. CAPRIOLI


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  • Ajouté : 08-11-2013
  • Modifié : 18-09-2014
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