Citation : Eric A. Caprioli, La première jurisprudence française relative à une licence GNU GPL, https://www.caprioli-avocats.com Date de la mise à jour : octobre 2007 La première jurisprudence française relative à une licence GNU GPL Eric A. Caprioli, avocat à la Cour, docteur en droit Caprioli & Associés contact@caprioli-avocats.com
Même s'il ne consacre pas la validité et l'opposabilité de la licence de logiciel libre GNU GPL en droit français, le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 28 mars 2007 (TGI Paris, 3ème chambre, 1ère section, 28 mars 2007, Educaffix c/ CNRS, Université Joseph Fourier et autres) est le premier à se pencher sur les conséquences juridiques de l'association d'un logiciel " propriétaire ", objet d'une cession, à un logiciel libre. Les faits de l'espèce étaient assez compliqués. Une société, Educaffix, avait conclu avec plusieurs établissements d'enseignement supérieur et le CNRS, appelés ci-après l'" Organisme ", un contrat de cession de logiciel, la société ayant l'intention de développer son propre logiciel à partir du logiciel cédé. Jusqu'ici, tout semblait normal sauf qu'en réalité le logiciel, objet de la cession, présentait une particularité. En effet, l'Organisme avait cédé des droits patrimoniaux sur un logiciel intitulé Baghera qu'il avait développé lui-même mais qui ne pouvait fonctionner que sur la base d'un logiciel libre, JATLite, développé par l'Université de Stanford sous licence GNU GPL et légèrement adapté par l'Organisme. Lors de la cession, l'Organisme avait fourni à la société Educaffix un Cdrom contenant d'une part, son logiciel Baghera, et d'autre part, la brique de logiciel libre adaptée mais sans fournir la licence GNU GPL y afférente. La société Educaffix qui estimait ne pas pouvoir développer son propre logiciel à partir du logiciel Baghera du fait de l'absence de licence sur JATLite demandait aux juges la nullité du contrat de cession pour dol et subsidairement la résolution du contrat aux torts exclusifs de l'Organisme car l'exploitation du logiciel cédé impliquait nécessairement, selon elle, la commission d'un acte de contrefaçon du logiciel libre. C'est dans ce contexte que les juges, qui sont liés par les demandes des parties, avaient la difficile tâche de se prononcer sur les conséquences juridiques de la combinaison entre un logiciel propriétaire et un logiciel sous licence GNU GPL. C'est sur la demande de résolution du contrat de cession que la décision du TGI de Paris revêt toute son importance. Les juges précisent que le logiciel libre fourni au cessionnaire sur le cdrom dépend de la licence GNU GPL et que ce type de licence permet une utilisation libre du logiciel mais qu'en cas de travail basé sur le logiciel libre qu'on ne peut identifier " comme raisonnablement indépendant ", il faut obtenir une licence. En réalité mais sans pour autant citer les termes de la licence GNU GPL (et pour cause, la licence est rédigée en anglais et la traduction française n'est pas officielle), les juges semblent retenir l'exception au caractère contaminant de la licence GNU GPL prévue à l'article 2 de la licence GNU GPL dans sa version 2, applicable à l'espèce. En effet, pour les juges, les développements effectués par l'Organisme étant indépendants du logiciel libre lui-même, l'Organisme pouvait disposer de droits de propriété sur ceux-ci. Les juges reprochent toutefois à l'Organisme de ne pas avoir distribué le logiciel libre avec sa licence GNU GPL. Et comme il n'a pas pu remplacer le logiciel libre par une brique propriétaire qu'il aurait développée lui-même, les juges prononcent la résolution du contrat aux torts partagés. Même si le raisonnement des juges ne nous paraît pas convaincant au regard des faits (manque de clarté sur le caractère dérivé ou non de Baghera par rapport à JATLite), ces derniers ont donc, semble-t-il, appliqué le texte de la GNU GPL à la lettre. En cela, le jugement du TGI est une première. Mais il faut nuancer la portée de cette décision. D'une part, le jugement ne reconnaît pas la validité de la licence GNU-GPL contrairement à ce que certains ont pu affirmer. Pour cela, il aurait fallu que ce soit le titulaire des droits (l'Université de Stanford, ou son cessionnaire) qui agisse sur le fondement juridique de la contrefaçon et demande la reconnaissance de ses droits avec tous les effets juridiques y attachés, ce qui n'était pas le cas. D'autre part, il s'agit d'un jugement d'espèce qui mériterait d'être confirmé en appel et dont le raisonnement est loin d'être limpide, les juges ne citant pas le texte de la licence et ne semblant pas être à l'aise avec la notion de logiciel libre en réagissant comme si le logiciel Baghera était en fait dérivé d'un logiciel propriétaire. Au final, ce jugement met surtout en exergue les risques juridiques et économiques pesant sur chacune des parties : résolution du contrat en 2007 ce qui a pour conséquence que le cessionnaire n'a plus aucun droit sur le logiciel acquis en 2003 et doit repartir à zéro, le contrat n'ayant jamais existé, et pertes de temps et d'argent importantes pour les deux parties (100.000 à 150.000 euros). Finalement, une analyse juridique de la licence GNU GPL en amont du projet, par chacune des parties, aurait sans doute évité des coûts et une débauche d'énergie inutiles !