Citation : Eric A. Caprioli et Ilène Choukri, Réflexions sur une quête de déontologie informationnelle, www.caprioli-avocats.com Première publication : juillet 2008 Réflexions sur une quête de déontologie informationnelle Eric A. Caprioli, Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas) Ilène Choukri, Avocat au Barreau de Nice, Docteur en droit, Chargé d'enseignement contact@caprioli-avocats.com
Plan Introduction I/ LA QUETE DEONTOLOGIQUE DE TRANSPARENCE A) Le socle minimum d'une nouvelle gouvernance déontologique B) Un processus de responsabilisation perfectible II/ ETHIQUE ET INFORMATION : UNE DIALECTIQUE COMPLEXE A PORTEE GLOBALE A) Le risque d'interférence avec des acquis déontologiques préexistants B) Mise en perspective avec l'émergence d'une déontologie globale Conclusion
La captation et le traitement de l’information sont des articulations stratégiques de la bonne gouvernance informationnelle, en matière de développement durable. En abordant la question d’une déontologie de l’information essentiellement sous l’angle de l’exigence d’un supplément de transparence, le rapport de la mission LEPAGE s’est fait l’écho de nombreuses initiatives internationales d’auto-régulation, telles que l’Agenda 21 ou la Déclaration de Rio. D’aucuns considèreront que les propositions du rapport LEPAGE sont hypothéquées par leur manque de réalisme ou leur caractère sommaire. En tout état de cause, la portée desdites propositions reste tributaire des choix méthodologiques quant à leur mise en œuvre. 1. La transversalité du rapport de la mission LEPAGE ne saurait être plus caractérisée que par les développements relatifs au principe de déontologie de l’information. Abordées par le truchement de l’environnement et de la santé, les préconisations en matière de transparence des mécanismes de diffusion de l’information pourraient avoir une portée et des incidences plus ou moins directes au-delà du périmètre du rapport. La forme concise, et à certains égards, le contenu sommaire de la réflexion de la mission LEPAGE sur la question de la déontologie de l’information dénotent avec le caractère a priori audacieux de la thématique. Pour en mesurer la portée, il suffit de mettre en perspective le contenu de la notion de déontologie avec la qualification du concept d’information. D’essence morale ou éthique, la déontologie se définit comme « l’ensemble des devoirs inhérents à l’exercice d’une activité professionnelle libérale et le plus souvent définis par un ordre professionnel » [1]. La notion d’information quant à elle peut être définie selon des formules à géométrie variable en fonction des contextes et des finalités. En l’espèce, l’information se définit simplement comme « le renseignement possédé et l’action de le communiquer à autrui » que ce soit à une personne déterminée ou au public [2]. En prenant pleinement en considération le processus de création, de collecte, de traitement, de conservation et de communication de l’information, le professeur CATALA a pu définir cette dernière comme étant « d’abord expression, formulation destinée à rendre un message communicable ; elle est ensuite communiquée, ou peut l’être, à l’aide du signe choisi pour porter le message à autrui » [3]. L’idée de réappropriation démocratique du processus de conception et de diffusion de l’information, par la mise en place de mécanismes de transparence à la source, procède forcément d’une réflexion, voire d’une remise en question de l’objectivité de l’édifice médiatique quant au traitement de certains domaines sensibles, en l’espèce l’environnement et la santé. En effet, pour légitimer sa démarche, le rapport de la mission LEPAGE prend appui sur la nécessaire préservation de l’opinion publique contre toute forme d’instrumentalisation ainsi que sur la volonté de l’immuniser contre toute manœuvre occulte de certaines sphères d’influences économiques et des affaires. Il est certain que l’information constitue un rouage déterminant de l’efficacité d’une politique globale en matière de développement durable [4]. L’objectif rappelé par le rapport de la mission LEPAGE est d’aboutir à une véritable responsabilisation du consommateur-citoyen, en levant les obstacles à « l’effectivité du droit à l’information » [5]. Cette notion d’effectivité serait ainsi le gage de l’efficacité et de la pleine utilité de ce droit à l’information environnementale et sanitaire. Les propositions du rapport focalisent cette déontologie de l’information environnementale et sanitaire sur une véritable quête de transparence (I). Pour autant, la réflexion de la mission LEPAGE reste limitée dans son audace dans la mesure où l’utilité relative de ses propositions reste tributaire de la capacité du législateur ou du régulateur à fédérer les différents interlocuteurs autour d’une nouvelle gouvernance informationnelle, susceptible d’achopper sur l’autel d’une dialectique complexe à portée globale. (II).
I/ LA QUETE DEONTOLOGIQUE DE TRANSPARENCE 2. La mission LEPAGE considère qu’ « il serait intéressant qu’une véritable déontologie de la transparence se mette en place ». Au-delà de cette manifestation d’intérêt pour une démarche éthique de la diffusion de l’information, le rapport décline un certain nombre de mesures normatives, structurelles et organisationnelles qui pourraient constituer un socle minimum pour cette nouvelle gouvernance déontologique (A), en l’état, encore perfectible (B) A) Le socle minimum d’une nouvelle gouvernance déontologique. 3. En premier lieu, cette déontologie de la transparence pourrait prendre appui sur des références normatives équivalentes aux normes de certification ISAS 9100 BC pour les médias audiovisuels et ISAS 9100 P pour la presse papier. L’objectif serait de mettre en place des procédures de clarification des responsabilités, de renforcement des bonnes pratiques qualitatives, des processus de critique des relations avec les annonceurs, entre autres, tout en préservant l’intégrité et la liberté du contenu. A cet égard, la proposition du rapport de la mission LEPAGE prévoit l’intégration d’un « référentiel de qualité sur l’information dans le Cahier des Charges des chaînes publiques, voire privées, qui pourrait être ISAS 9100 BC pour les médias audiovisuels ». La presse privée serait également concernée sur une base plus volontariste. Le recours au processus de certification constitue certainement l’axe majeur des propositions du rapport dans la mesure où il est symptomatique d’une méthodologie normative volontariste, fédératrice et consensuelle. 4. La proposition n°32 du rapport reprend l’idée que « l’organisation capitalistique des médias, qu’ils soient audiovisuels, écrits ou informatiques, puisse être régulièrement rappelée au public et que cette organisation soit consultable de manière permanente ». Il est également préconisé qu’ «une fois par an, le montant de la publicité perçue des annonceurs devrait être publié, organe de presse par organe de presse, annonceur par annonceur ». L’objectif du rapport est résolument d’offrir au consommateur et au citoyen une grille de lecture objective des informations mises à sa disposition. L’objectif est également de responsabiliser l’édifice médiatique, marqué par une dualité complexe. Les médias sont, en effet, d’une part des diffuseurs de l’information, mais également des réceptacles d’une activité marchande dont l’emprise n’est pas toujours maîtrisée : la publicité. 5. Toujours dans la perspective d’améliorer l’indépendance des médias, le rapport considère qu’il serait souhaitable que « pour les organes de presse détenus par des grands groupes dont l’incidence sur la santé et l’environnement est patente et/ou qui ont des intérêts dans le domaine énergétique, de santé publique, chimique notamment (…) un comité déontologique particulier puisse s’assurer de la parfaite indépendance de la rédaction à l’égard des actionnaires » [6]. 6. A titre subsidiaire, le rapport s’interroge enfin sur la nécessité de déclarer « soit au CSA, soit à la haute autorité à créer » les rémunérations perçues par les journalistes, provenant de groupes industriels, dans le cadre de différentes prestations annexes à leur métier principal, telles que des conférences, des médias training ou encore des publi-reportages. Selon la même logique, pourquoi ne pas intégrer également les avantages en nature et les invitations ? B) Un processus de responsabilisation perfectible. 7. L’ensemble de ces propositions constitue des pistes de réflexion éparses ayant comme dénominateur commun le souci de prévenir ou d’identifier les conflits d’intérêt et les collusions douteuses entre les médias et les industriels, préjudiciables au consommateur. Il n’en demeure pas moins que ces propositions amorcent un processus de responsabilisation dont l’effectivité reste largement tributaire du volontarisme des professionnels de l’information et de la communication. S’il est vrai que la transparence offre l’option d’un choix éclairé par le consommateur, cible des tentatives de captation informationnelle, elle n’en est pas forcément la garantie. Par ailleurs, les propositions du rapport de la mission LEPAGE restent sibyllines. Ainsi, entre autre, l’intérêt du comité déontologique chargé de s’assurer de l’indépendance de la rédaction à l’égard des actionnaires dépendra largement de la réalité des pouvoirs de ce comité, de la qualité et de la fonction de ses membres, du processus de nomination ainsi que de la valeur et de la portée de ses décisions. Force est de constater, également que la diffusion de l’information par médias électroniques, dont la spécificité exige une approche sur mesure, est, au mieux, traitée dans le sillage des médias audiovisuels ou de la presse. Les communications électroniques exigent une approche spécifique. La dimension globale de l’information électronique ainsi que l’absence d’encrage national des diffuseurs virtuels suffisent à relativiser l’efficacité des mesures proposées par le rapport, en l’état. 8. Par leur nature, à savoir des outils volontaristes et souples, autant que par leur finalité, à savoir la recherche de transparence, l’ensemble de propositions du rapport font référence à un processus de régulation « soft », sans force contraignante. Cette méthode se justifie certainement par le fait que la réflexion menée par la mission LEPAGE interfère avec la logique et la réglementation propres applicables aux médias qui sont autant d’acquis consacrés. La quête de transparence informationnelle initiée par le rapport de la mission LEPAGE est un équilibre fragile, pris en tenaille entre, d’une part, une logique marchande à laquelle les cycles de conception, de diffusion et d’accès à l’information sont de plus en plus perméables, et d’autre part, le spectre d’une censure opportuniste.
II/ ETHIQUE ET INFORMATION : UNE DIALECTIQUE COMPLEXE A PORTEE GLOBALE 9. La dynamique de transparence qu’entend initier la mission LEPAGE tendrait à insuffler un supplément d’éthique dans une société de l’information, par nature relativement rebelle à la notion de contrôle. Cette réalité prend une dimension encore plus particulière dès lors que sont directement concernés les médias audiovisuels, la presse, ainsi que les journalistes de manière générale, nonobstant le monde de la publicité (A). Les propositions du rapport de la mission LEPAGE interviendraient en arbitrage d’une dialectique complexe entre la notion d’éthique et celle d’information et trouveraient leur utilité régulatrice dans les insuffisances d’un cadre juridique et réglementaire fragmenté. En cela, elles se situent dans le mouvement global amorcé par l’Agenda 21 ainsi que par les principes de Rio de Janeiro en faveur de la promotion d’une « information dynamique » (B) A) Le risque d’interférence avec des acquis déontologiques préexistants. 10. La forteresse corporatiste, voire lobbyiste, des métiers de communication et de l’information ne saurait rester insensible à ce qu’elle pourrait percevoir comme une immixtion ou une ingérence, quand bien même prendrait-elle la forme d’une nouvelle gouvernance. Et ce, d’autant plus que l’encadrement déontologique de l’information n’est pas une problématique inédite et prend d’ores et déjà appui sur un cadre législatif et conventionnel préexistant empreint d’une dimension éthique [7], mais également sur une déontologie journalistique consacrée, essentiellement, par la Charte des devoirs professionnels des journalistes français. Rédigée à l’initiative du Syndicat National des Journalistes en juillet 1918 et révisée en 1938, cette Charte définit les principaux fondements de la déontologie journalistique dont certains ne sont pas sans correspondance avec certaines propositions du rapport de la mission LEPAGE. Ainsi, cette Charte dispose qu’un journaliste digne de ce nom ne touche pas d’argent dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ; dans le même sens, il ne signe pas de son nom des articles de réclame commerciale ou financière. 11. Le rapport de la mission LEPAGE cadre, a priori, avec cette vision de la déontologie journalistique, dont la conscience éthique devrait lui interdire de percevoir une rémunération de la part d’un groupe d’intérêt économique, dans des conditions qui compromettraient son intégrité professionnelle. Cependant, il se heurtera nécessairement à la résistance d’une profession qui « ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en matière d’honneur professionnel ». Cette résistance pourrait être suscitée par les deux logiques, parfois antagonistes, qui sous-tendent la réflexion de la mission LEPAGE sur la déontologie de l’information. La déontologie renvoie en effet à une perception éthique, c’est à dire à un encadrement moral. Par nature, l’information, dans sa conception contemporaine, renvoie à l’idée souveraine de liberté d’expression. 12. L’idée de gestion de la diffusion de l’information, quand bien même participe-t-elle à une œuvre de transparence, de rationalisation et de préservation qualitative, relève d’un cadrage et d’un contrôle, par définition, limitatif. Ceci étant, elle se situe également dans le prolongement d’une dynamique mondiale de promotion d’une information écologique « intelligente ». B) Mise en perspective avec l’émergence d’une déontologie globale. 13. La Charte de 1918 n’a aucune valeur juridique contraignante et ne constitue qu’un instrument référentiel de moralisation dont le respect n’est pas évident dans une société où l’information a une valeur commerciale et représente un moyen d’influence et de pression diffuses sur une opinion publique hétérogène. Par ailleurs, aucun cadre réglementaire n’existe concernant le choix des publications des informations, laissé à la discrétion du groupe de diffusion qui pourra préférer privilégier la rentabilité par le tirage d’une information « porteuse » plutôt que la qualité de l’information. C’est face à ces limites et à ces insuffisances que l’utilité des propositions de la mission LEPAGE, en tant que point de départ d’une nouvelle gouvernance informationnelle prend toute sa dimension, sous réserve de réalisme et de consensus autour de mécanismes d’auto-régulation. 14. Cette nouvelle gouvernance informationnelle est en réalité le fruit d’un processus global, auquel contribuent, à leur échelle, les propositions du rapport. Le point 8 de l’Agenda 21 ne manque pas de rappeler « que les décideurs passent des approches sectorielles étroites vers l’intégration des problèmes environnementaux dans une politique de développement durable qui exige des changements dans la collecte de l’information, les techniques de gestion et de planification » [8]. En relation plus directe avec le concept de déontologie de l’information, le principe 10 de la Déclaration de Rio énonce que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations environnementales que détiennent les autorités publiques (…), et avoir également la possibilité de participer aux processus de prise de décision. » 15. Les propositions de la mission LEPAGE se situent dans la continuité de cette démarche vers une information « intelligente » et intégrée [9], en tant que gage des prises de décisions pertinentes en matière de développement durable. Conclusion 16. Le principe de transparence de l’information environnementale et sanitaire comme gage d’un développement durable efficace met en évidence le fait que la qualité de l’information est un véritable curseur de la qualité de la Société. La réflexion du rapport de la mission LEPAGE en matière de déontologie de l’information entend appréhender cette dernière comme un vecteur de pouvoir et comme l’outil d’une « intelligence écologique ». La portée des propositions du rapport est encore difficile à mesurer. Leur succès déteindrait certainement sur tout un ensemble de domaines a priori hors du champ des débats du « Grenelle de l’environnement » lancé le 21 mai 2007. Le risque qu’elles demeurent une pétition de principes non aboutis n’est pas non plus exclue et dépendra certainement des choix méthodologiques quant à leur mise en œuvre. Notes [1] Gérard CORNU, Vocabulaire juridique , 1° Ed., mai 2000, p.274. [2] Ibid, p.256. [3] P. CATALA, Le droit à l’épreuve de numérique, jus ex machina, Paris, PUF, p.228. [4] Le développement durable est le développement « qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins », The World Bank, Knowledge for Development Report 1, 1998/99. [5] Rapport de la mission LEPAGE, p. 6. [6] Proposition n° 33 du rapport. [7] La loi du 29 juillet 1881 sur la presse et communication : diffamation et injure (articles 29 à 35), rectifications (article 12), droit de réponse (article 13), provocation aux crimes et délits (articles 23, 24 et 24 bis), délits contre la chose publique (articles 26 et 27), interdictions de certaines publications (article 38 à 41-1). La loi impose aussi une obligation de dépôt judiciaire et administratif (art 10) ; la loi du 15 juillet 1942 interdisant certaines annonces de caractère antifamilial ; la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ; le §2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme autorisant l'ingérence de l'Etat (mesures nécessaires dans une société démocratique) ; la loi du 19 juillet 1977 modifiée le 19 février 2002 et relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion ; les dispositions non abrogées de la loi du 29 juillet 1982 sur la Communication audiovisuelle ; la loi du 1er août 1986 : cette loi consacre la transparence et encadre de façon formelle les entreprises de publication d'information ; la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (ayant créé le CSA) ; la jurisprudence appliquant la diffamation évoque le manquement à la déontologie pour sanctionné le journaliste, comme par exemple l'arrêt Civ 2ème du 5 février 2004 (bull. civ. n°48) ; la protection des droits d'auteur contre le plagiat, le détournement ou la reproduction sauvage ; on peut également citer tout le volet sur le respect de la vie privée protégée de différentes façons que ce soit en droit interne (loi du 17 juillet 1970) qu'au niveau de la CEDH. [8] Amal HABIB, Participation de l’information et des technologies de l’information dans le développement durable cas du Liban. Thèse de Doctorat, Université Paris VIII, 2006, 409 p. [9] On parle aussi d’une « information dynamique ». Amal HABIB, Claude BALTZ, Quelle information pour piloter le développement durable ?, Documentaliste, Sciences de l’Information, n°1, Février 2008, p.4.