Dimanche 05 Janvier 2014
Règlement des litiges en ligne. Quelles solutions ?

COMMERCE ELECTRONIQUE Citation : Eric A. Caprioli et Cédric Manara, Règlement des litiges en ligne. Quelles solutions ?, www.caprioli-avocats.com

Première publication : Legal Biznext, octobre 2002, p.4 et 5.

Date de la mise à jour : septembre 2002. Règlement des litiges en ligne. Quelles solutions ? [1] Par Eric Caprioli et Cédric Manara [2] contact@caprioli-avocats.com


Plan L'expérience de la " procédure U.D.R.P. " L'arbitrage en ligne La médiation en direction des consommateurs


Il n'est pas de commerce sans confiance, et pas de commerce électronique possible si ne sont pas assurées les conditions de sa sécurité. C'est seulement après des années de foi dans les promesses économiques de l'internet qu'ont commencé d'être prises des mesures pour permettre la confidentialité, l'effectivité des conventions passées à travers les réseaux, et leur preuve. Différents textes communautaires ou français ont ainsi tracé le chemin du recours à la cryptologie, aux signatures électroniques et à la certification [3] sans résoudre encore toutes les difficultés que peut poser le contrat électronique (la question de l'archivage par exemple). Si ces mesures doivent permettre de répondre aux attentes légitimes des consommateurs et entreprises qui se rencontrent sur le marché électronique, elles ne sont toutefois pas indispensables à ces dernières: les plus audacieuses (ou les moins réfléchies ?) ne les ont pas attendues pour conclure des contrats depuis plusieurs années via l'e-mail ou le web, et en apporter la preuve par tous moyens, ce qu'autorise l'article L. 110-3 du Code de commerce pour les relations d'affaires ou les conventions de preuve. C 'est ainsi que sont déjà nés des litiges liés à des opérations en ligne, dont le nombre se multipliera à mesure de l'essor du commerce électronique. Afin d' " accompagner " la résolution de tels litiges, on a vu fleurir diverses initiatives ou propositions pour leur règlement en ligne, lesquelles ont aussi vocation à traiter d'autres contentieux apparus hors des réseaux mais pour lesquels les intéressés s'en remettent à une procédure en ligne. Les mécanismes existants sont appelés selon les cas arbitrage, médiation, ou conciliation. Ils sont pour l'essentiel portés par des acteurs privés, et s'adressent à un objet particulier (les noms de domaine), aux seuls professionnels, ou aux relations de ces derniers avec les consommateurs.

L'expérience de la " procédure U.D.R.P. " Le premier marché qui s'est créé avec l'internet fut certainement celui de l'achat frauduleux de noms de domaine, en vue d'en priver son attributaire légitime ou de lui revendre à un prix bien supérieur à l'achat. De façon à assurer aux titulaires de marques un moyen de revendiquer un nom de domaine qui la reproduit ou l'imite, tout en surmontant les complications, lenteurs, et coûts d'une action qu'il faut bien souvent intenter et faire exécuter contre un étranger, fut créée en 1999 une procédure uniforme pour la résolution de tels litiges, dite " U.D.R.P. "[4]. Pour sa mise en œuvre, il est fait appel à des prestataires (providers) agréés à cette fin. Ces quatre centres - celui de l'A.D.N.D.R.C. basée à Pékin et Hong-Kong, du C.P.R. à New-York, de l'A.D.R à Minneapolis, et de l'O.M.P.I. sise à Genève - peuvent être saisis par voie électronique par le plaignant. L'institution de règlement choisie discrétionnairement par ce dernier (son choix se portant généralement sur celle dont les statistiques indiquent qu'elle est la plus favorable aux propriétaires de marques…) devra employer les moyens nécessaires pour que le défendeur reçoive effectivement notification - ce qui inclut le papier -, et réaliser les communications liées au débat de la même façon. La langue de la procédure est celle utilisée dans le contrat d'enregistrement du nom de domaine disputé ; le défendeur a vingt jours pour présenter sa défense, la commission administrative quatorze pour rendre sa décision. Ce sont déjà six mille cas qui ont été tranchés en vertu des normes U.D.R.P., essentiellement en faveur des propriétaires de marque, ce qui peut se comprendre dès lors que les conditions de leur mise en œuvre sont l'absence de droit ou d'intérêt légitime, et l'enregistrement et l'utilisation de mauvaise foi. L'exposé schématique de la procédure tel qu'il vient d'être fait permet de comprendre que cette procédure n'est pas exempte de critiques. Plusieurs professeurs américains ont démontré par des études d'ensemble de toutes les espèces qu'elle pouvait être détournée à des fins stratégiques. Au demeurant, au regard des règles essentielles de procédure, les règles U.D.R.P. ne résistent pas à l'examen de leur conformité au principe du contradictoire, des droits de la défense, plus généralement du procès équitable [5]. Néanmoins, elles sont souvent prises comme modèle de référence ou base de travail pour le développement de solutions d'arbitrage en ligne.

L'arbitrage en ligne L'expression "arbitrage en ligne" est utilisée par facilité en français pour désigner ce que l'anglais appelle online dispute resolution, mais aussi parce que la définition du phénomène est délicate. La première expérience de résolution d'un litige uniquement par moyens électroniques remonte à 1996, et depuis il est devenu difficile de dénombrer les acteurs (au moins une soixantaine selon une étude [6], leur champ d'activité, et leurs offres, depuis la simple aide à la négociation en vue d'une solution jusqu'à la proposition d'une panoplie complète de résolution visant à être substituée presque entièrement aux mécanismes judiciaires. Si certaines initiatives n'ont d'autre visée que l'expérience, d'autres sont menées à des fins lucratives. L'expérience des règles U.D.R.P. montrant la mise en concurrence des offreurs, leur multiplication peut laisser augurer que les critères de choix de l'un ou l'autre des prestataires pourraient reposer par exemple sur les tarifs proposés plutôt que sur la qualité du travail fourni. Les procédures en ligne tendent à la rapidité de la résolution du litige, ce qui est une attente des entreprises. Si les techniques modernes de communication accroissent la rapidité des échanges, on peut se demander si la vitesse est tout à la fois une garantie des règles processuelles. Il faut aussi souligner que le recours à de tels services spécialisés repose sur une base volontariste et contractuelle, ce qui les rapproche moins de l'arbitrage que de la conciliation. Tous ces procédés ont par ailleurs en commun deux carences majeures : ceux qui se chargent de leur mise en œuvre ne disposent ni de l'imperium ni de la juridictio, ces pouvoirs de juger et de faire exécuter la décision par la force publique, et en outre les décisions rendues seront difficilement revêtues de l'exequatur, nécessaire pour qu'elles soient exécutées dans un pays étranger. Par raccourci, on pourrait presque dire que ces deux éléments dont la source est l'Etat et qui sont issues du droit romain montrent qu'il est difficile de concilier justice te modernité ! De plus, toutes les décisions en ligne sont susceptibles d'être portées devant la juridiction étatique compétente… Pourtant certains États encouragent les solutions de règlement des litiges en ligne, en particulier pour ceux de faible valeur.

La médiation en direction des consommateurs C'est ainsi qu'est né il y a un an, grâce aux encouragements communautaires, le projet ECODIR [7], destiné au règlement des litiges de consommation suite à la réalisation d'une transaction par internet. Le système propose de mettre fin au contentieux qui s'élève en trois étapes : la négociation, la médiation, puis la recommandation, dès lors que les parties sont d'accord. En cela, cette expérience montre le caractère supplétif d'une procédure en ligne, demandeur et défendeur conservant leur droit à recourir à un juge, ou de contester devant lui une décision rendue à travers internet, comme c'est le cas dans la procédure U.D.R.P. Si la volonté est d'offrir ici aux consommateurs un moyen simple de parvenir à une solution, il est toutefois prévu que la procédure soit onéreuse, ce qui pourrait rapidement épuiser les objectifs recherchés. Le projet ECODIR peut en rappeler un autre, celui de la société SquareTrade, peut-être l'une des plus originales et éprouvées formules de médiation générées par le web [8]. La société offre tout à la fois une assurance, un label pour les transactions, et des processus de médiation différenciés selon les conflits. Son exemple permet de mettre le doigt sur l'un des premiers intérêts des offres de règlement en ligne des litiges : leur premier mérite est peut-être d'exister, ce qui peut avoir pour effet de rassurer celui qui hésite à s'engager sur l'internet. Il s'agit d'une garantie supplémentaire et supplétive, qui ne peut prétendre remplacer les procédures judiciaires ou arbitrales traditionnelles, qui pour être lentes ne sacrifient pas les principes au nom de l'efficacité.

Notes [1] E. A. CAPRIOLI, Règlement des litiges internationaux et droit applicable dans le commerce électronique, Paris, Litec, collection Droit@Litec, 2002 (v. les publications du cabinet). [2] Cédric MANARA, Professeur au Département Sciences Juridiques de l'EDHEC Business School, Cabinet Caprioli @vocats. [3] E.A CAPRIOLI, Ecrit et preuve électroniques dans la loi n°2000-320 du 13 mars 2000, JCP (E), 2000, Cah. Dr. Entr., n°23, juillet 2000, p. 1-11 ; E.A CAPRIOLI, La loi du 13 mars 2000 sur la preuve et la signature électronique dans la perspective européenne, JCP (G), I, 224, Doctrine, 3 mai 2000. [4] Consultable sur le site de l'I.C.A.N.N., son initiatrice, à l'adresse http://www.icann.org./udrp/ [5] Pour une critique d'ensemble, V.A Cruquenaire, Le règlement extrajudiciaire des litiges relatifs aux noms de domaine. Analyse de la procédure UDRP, Cahiers du Centre de Recherches Informatique et Droit n°21, Bruylant, Bruxelles, 2002, spéc. Le dernier chapitre. [6] T. SCHULTZ, G. KAUFMANN-KOHLER, D. LANGER, V. BONNET, Online Dispute Resolution: State of the Art and the Issues, E-Com Research, Project of the University of Geneva, Geneva, 2001, http://www.onlineadr.org [7] http://www.ecodir.org [8] E. Katsh, Online Dispute Resolution, Actes du colloque " Premières journées internationales du droit du commerce électronique " (23-25 octobre 2000, dir. E. A CAPRIOLI), co-organisé par le Centre de Droit de l'Entreprise de l'Université de Montpellier et le Département Sciences Juridiques de l'EDHEC, Editions Litec / Droit de l'Entreprise, 2002, p.41.


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