Dimanche 13 Mai 2018
Dans les contrats informatiques, les obligations de chacune des parties sont essentielles en cas de litige. D’un côté, le prestataire doit remplir une obligation de conseil envers son client et de l’autre, le client doit collaborer avec le prestataire pour atteindre les résultats escomptés. La livraison et la recette doivent correspondre aux besoins exprimés par le client dans son cahier des charges. C’est obliger deux fois qu’obliger promptement » dit le proverbe …et semble vouloir appliquer la Cour d’appel de Paris dans son arrêt en date du 17 Novembre 2017 (SAS Credentiel c./ SAS Certeurope) par lequel elle rappelle l’importance des obligations de conseil, de mise en garde et de délivrance conforme à la charge du fournisseur envers ses clients.

Les faits de l’arrêt : un litige entre « initiés » ? 

La décision rendue par la Cour d’Appel de Paris portait sur la mise en place d’une suite logicielle relative à des prestations de services de sécurité. Elle a condamné le fournisseur pour manquement à ses obligations dans un litige qui opposait pourtant deux sociétés du domaine informatique. Le fournisseur, spécialisé dans l’édition de logiciels de sécurité de gestion d’identité numérique et de signature électronique avait développé un logiciel spécifique. Le contrat portait sur l’utilisation et la maintenance du logiciel contre redevances au profit d’une société opératrice de services de certification électronique qui développe et commercialise des solutions de sécurité des flux numériques. Or, la société cliente avait cessé de régler ses factures à la fin de la première année et demi du contrat après avoir notifié à sa cocontractante que la suite logicielle proposée ne remplissait pas ses fonctions et qu’elle avait entraîné des coûts et des retards. Cela a conduit le fournisseur à assigner en paiement sa cliente en vue du règlement de ses factures. Elle fut déboutée de sa demande en première instance au motif que le fournisseur d’une prestation informatique a un devoir de conseil, de renseignement et de mise en garde, que la délivrance est à la charge du fournisseur de solutions informatiques et que les dysfonctionnements sont apparus dès le début de l’exécution du contrat. Le fournisseur de prestations informatiques a donc fait appel. 

La qualité du client est indifférente pour l’exigence du devoir de conseil

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement : « Ces sociétés ont certes chacune une activité dans le domaine informatique mais il n'est pas pour autant établi par l'appelante que la société intimée dispose d'une compétence lui donnant les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du dispositif en cause ». La société prestataire est condamnée à des dommages et intérêts au titre du préjudice financier subi par sa cliente. La société cliente a été condamnée à la destruction ou à la restitution du logiciel, sans astreinte. On observera que la société cliente était tenue contractuellement à ladite destruction ou restitution. Ce n’est pas parce que la cliente était dans le domaine informatique, que le fournisseur n’était pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde dans la mesure où les technologies en cause étaient très spécifiques et complexes ; elles nécessitaient des compétences techniques dont la cliente ne disposait pas. Dans un arrêt du 6 mai 2003, la Cour de Cassation a jugé que le fait « que l'UGMR était dotée d'un service informatique interne actif et compétent dès lors que les informaticiens de l'UGMR ne disposaient pas de toutes les compétences nécessaires, s'agissant de l'installation de logiciels spécifiques, ce qui justifiait le recours par l'UGMR à une société prestataire externe ». C’est donc la nature du contrat qui génère l’obligation de conseil qui engage le fournisseur (ou le prestataire de service informatique), charge à ce dernier de rapporter la preuve de la compétence spécifique du client pour s’exonérer ou atténuer de cette obligation.

Les obligations en triptyque du fournisseur 

Selon l’arrêt de la Cour de cassation précité, « en sa qualité de prestataire informatique et de professionnelle avertie, la société Promatec était tenue d'un devoir de conseil, qu'elle se devait notamment, connaissant l'activité de l'UGMR et son environnement particulier, d'envisager les risques de l'absence de définition précise des besoins pour le projet concerné et de s’enquérir des informations nécessaires ».
L’obligation de conseil s’applique pendant toute la durée des pourparlers et du contrat. Elle se manifeste par un exposé précis des éléments qui permettent au client de choisir la meilleure solution en fonction de ses besoins. Le fournisseur s’informe des besoins de son co-contractant et il est toujours débiteur d’une obligation de conseil. L’obligation de conseil se matérialise par le fait de se renseigner préalablement sur les besoins du client et notamment de l’informer sur les diverses contraintes techniques que le prestataire va mettre en place. Elle nécessite une plus grande rigueur à l’égard des clients non-professionnels.
L’obligation de mise en garde est une déclinaison du devoir de conseil. Son manquement se caractérise notamment lorsque le prestataire informatique manque à son obligation d’informer le client des erreurs, incompatibilités matérielles ou logicielles, risques et difficultés de fonctionnement du système envisagé quant à la mise en œuvre des prestations. Il peut s’agir par exemple d’une méprise de conception ou d’erreurs ou de manques figurant dans le cahier des charges. 
L’obligation de délivrance conforme correspond à la délivrance de la chose expressément stipulée par les parties dans le contrat. L’acquéreur doit dénoncer le défaut de conformité dans un délai raisonnable, qui varie selon la nature de la chose. Le document contenant la description des fonctionnalités attendues prend la forme d’un cahier des charges dont la rédaction est vivement recommandée. 
S’agissant de la réparation du préjudice du client, les juges ont pris en compte : le temps passé sur le projet, la perte de chiffre d'affaire, les frais exposés pour la mise en œuvre par un client du client, le remboursement des prestations payées d'avance mais pas correctement exécutées (total : 179.526 €).

Le contrat, outil de pilotage du projet…et voûte-parapluie en cas de litige

Le contrat informatique est également un outil de pilotage du projet et à ce titre, les précisions et informations sur les prestations, le système cible, les modalités concrètes d’implémentation du logiciel et le cahier de recette figureront dans les annexes spécifiques. 
La répartition des responsabilités pourra aussi être prise en compte comme dans des clauses suivant des matrices de type RACI (Responsible, Accountable, Consulted, Informed) annexées au contrat. Cela permettra de déterminer quel est le niveau d’implication de chaque partie, les risques et les réparations qu’elles encourent. 
Le diable se cache souvent dans les détails du contrat, de ses annexes et des procès-verbaux du comité de pilotage et de recette !


Eric A. CAPRIOLI, Avocat à la Cour de Paris, Docteur en droit, Membre de la délégation française aux Nations Unies, Vice-Président de la FNTC et du CESIN

Ilène CHOUKRI, Avocat associé, Docteur en droit, Responsable du contentieux et arbitrage (Caprioli & associés)
Société d’avocats membre du réseau Jurisdéfi


Ces boutons sont mis à votre disposition en tant que simples raccourcis pour partager nos publications.
Aucun Cookie ou tracage n'est effectué depuis notre site internet.


Rechercher une autre publication


  • Ajouté : 13-05-2018
  • Modifié : 23-05-2018
  • Visiteurs : 4 582