Jeudi 13 Août 2009
Le régime juridique des actes authentiques électroniques

Citation : Le régime juridique des actes authentiques électroniques, Pascal Agosti, www.caprioli-avocats.com Date de la mise en ligne : octobre 2005. Le régime juridique des actes authentiques électroniques Pascal Agosti, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Caprioli & Associés, Société d'avocats (Nice, Paris), contact@caprioli-avocats.com


Plan I/ UNE DEMARCHE ET DES PRINCIPES DIRECTEURS COMMUNS II/ DISPOSITIONS SPECIFIQUES AUX ACTES AUTHENTIQUES ELECTRONIQUES DES NOTAIRES III/ DISPOSITIONS SPECIFIQUES AUX ACTES AUTHENTIQUES ELECTRONIQUES DES HUISSIERS


Emanant d'officiers publics, les actes authentiques constituent le plus haut échelon en matière de preuve écrite ; en effet, leur régime juridique particulier se caractérise notamment par le fait qu'il ne peut être prouvé outre et contre eux que par la mise en œuvre de la procédure d'inscription de faux (articles 303 et s. du N.C.P.C.). De plus, le formalisme qui s'impose lors de leur établissement et de leur conservation renforce leur valeur juridique. Les actes authentiques sont ainsi reçus ou simplement dressés par l'officier public ou ministériel compétent, selon des solennités définies par les textes applicables. C'est l'article 1317 du Code civil qui définit l'acte authentique comme " celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises. ". Ainsi constituent des actes authentiques les actes notariés ainsi que leurs annexes à la condition que celles-ci soient revêtues d'une mention la constatant et signée du notaire, ou encore les actes établis par les huissiers de justice dans le cadre de leur office ministériel, c'est-à-dire les constatations figurant dans les actes de signification, les décisions de justice et les actes de l'état civil. Compte tenu de l'informatisation de la société, le traitement informatique des données a été récemment admis pour les actes notariés (article 5 du décret n° 99-1088 du 15 décembre 1999 relatif aux conditions d'établissement des actes par les notaires) et pour les actes d'état civil (décret n° 97-852 du 16 décembre 1997). Néanmoins, cette informatisation doit être distinguée de la reconnaissance juridique d'un acte authentique établi et conservé sous forme électronique. La reconnaissance de principe a été effectuée par la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique[1] qui complète l'article 1317 du Code civil par un alinéa 2. Désormais, l'acte authentique " peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". Deux décrets en Conseil d'état en date du 10 août 2005 ont été pris en application de cet alinéa afin de réglementer les actes authentiques établis sous forme électronique par les notaires[2] , d'une part,(portant modification du décret n°71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires), par les huissiers[3] (portant modification du décret n°56-222 du 29 février 1956 concernant le statut des huissiers), d'autre part. Ces deux textes procèdent d'une démarche similaire pour l'appréhension de l'acte authentique électronique dans son cycle de vie (I), mais les approches retenues par les huissiers (III) et notaires (II) révèlent des différences notables.

I/ UNE DEMARCHE ET DES PRINCIPES DIRECTEURS COMMUNS Les conditions entourant les éléments substantiels des actes authentiques électroniques ont été conservées et aménagées par rapport aux contraintes de l'environnement électronique tant pour leur établissement que pour leur conservation. Il en est ainsi de la présence physique du notaire[4] et de l'huissier[5]. L'environnement électronique pourrait remettre en cause la confiance conférée physiquement aux officiers publics ou ministériels du fait du caractère fluctuant et, par essence, incertain des réseaux[6]. C'est pourquoi les systèmes d'information des huissiers et des notaires, en charge du traitement, de la conservation et de transmission de l'information seront agréés[7] par l'autorité dont ils dépendent (soit le Conseil supérieur du notariat (CSN) pour les notaires, soit la Chambre nationale des huissiers de justice (CNHJ) pour les huissiers). Ces systèmes d'information devront garantir l'intégrité et la confidentialité du contenu de l'acte. En outre, ils devront être interopérables entre eux ainsi qu'avec les organismes auxquels ils doivent transmettre des données (ex :la conservation des hypothèques pour les notaires). D'autres caractéristiques sont communes aux actes authentiques électroniques dressés par les notaires et les huissiers. Ainsi, ces professionnels du droit doivent utiliser un procédé de signature électronique sécurisée[8] conforme aux exigences du décret 2001-272 du 30 mars 2001, pris pour l'application de l'article 1316-4 du Code civil et relatif à la signature électronique[9]. A ce titre, elle devra être propre à l'officier public ou ministériel, être créée par des moyens qu'il puisse garder sous son contrôle exclusif et garantir avec l'acte auquel elle s'attache un lien tel que toute modification ultérieure soit détectable. Cette signature[10] est présumée fiable si elle est "établie grâce à un dispositif sécurisé de création de signature électronique et que la vérification de cette signature repose sur l'utilisation d'un certificat électronique qualifié"[11], contrairement aux autres types de signature dont la fiabilité devra être démontrée. De plus, les deux décrets offrent la possibilité de numériser tout document annexé à l'acte, établi sous forme papier, à la condition que ce soit au moyen d'un procédé de numérisation garantissant sa reproduction à l'identique[12]. Aucun agrément n'est ici prévu. La date certaine de l'acte devra être mentionné en lettres dans l'acte électronique avant sa signature par l'officier public ou ministériel[13]. L'horodatage électronique est donc ici banni de la phase d'élaboration des actes authentiques électroniques. La conservation des actes authentiques électroniques doit être assurée " dans des conditions de nature à en préserver l'intégrité et la lisibilité "[14]. Ils doivent être transmis immédiatement pour les notaires et dans les quatre mois suivant l'élaboration de l'acte pour les huissiers[15], au " minutier central " contrôlé par le C.S.N. ou par la C.N.H.J. L'officier public ou ministériel qui a dressé l'acte ou qui le détient " en conserve l'accès exclusif "[16]. Il convient de pouvoir vérifier les actes conservés ainsi que le processus concourant à sa création en assurant la traçabilité de ces opérations[17]. Le répertoire recensant les actes passés par l'officier public ou ministériel pourra être tenu sur support électronique ou papier[18]. Enfin, les articles 28 alinéa 5 du décret n° 71-941 et 29-5 du décret n° 56-222 précisent que les opérations successives justifiées par sa conservation, notamment les migrations de support, ne retirent pas à l'acte sa nature d'original. Les principes relatifs à l'établissement et à la conservation des actes authentiques restent donc communs aux deux professions réglementées. Toutefois, la spécificité des actes authentiques émanant de chaque profession induit des dispositions propres aux notaires et aux huissiers de justice.

II/ DISPOSITIONS SPECIFIQUES AUX ACTES AUTHENTIQUES ELECTRONIQUES DES NOTAIRES Les notaires pourront, à partir du 1er février 2006[19], établir des actes authentiques, même en l'absence d'une des personnes qui y consent ou qui y intervient à l'étude du notaire, à la condition qu'un moyen de communication électronique soit établi entre la partie distante et le notaire. La partie distante devra être en présence d'un " autre notaire devant lequel elle comparaît " : le notaire instrumentaire, dont le rôle est de recueillir " son consentement ou sa déclaration "[20] . L'acte devient parfait une fois que " le notaire instrumentaire y appose sa signature électronique "[21]. Il s'agit d'un aménagement, d'une évolution du principe de présence physique du notaire. Concernant la question de la signature des parties ou des témoins, un système "permettant l'apposition sur l'acte notarié, visible à l'écran, de l'image de leur signature manuscrite" est exigé. Cette signature numérisée constitue un vestige de " l'acte papier ". Sa valeur est plus que relative[22] mais le fait qu'elle soit apposée sur l'acte devant un notaire qui le signera électroniquement concourt à garantir le consentement ou l'adhésion des parties ou des intervenants à l'acte. Il est en outre prévu que " les copies authentiques sont établies soit sur support papier, soit sur support électronique, quel que soit le support initial de l'acte. "[23]. Le notaire pourra donc numériser un acte authentique établi sur support papier pour en délivrer une copie sur support électronique dès lors que la reproduction à l'identique est garantie. Enfin, la possibilité d'apposer une mention marginale - comme la mention de la délivrance d'une copie exécutoire - sur l'acte authentique établi sous forme électronique est prévue, la mention devant être datée et signée par le notaire, et doit " figurer dans un fichier lié à l'acte d'origine signé par le notaire au moyen de sa signature électronique sécurisée "[24]. On peut penser que cette disposition vient préciser, pour les actes authentiques électroniques, les conditions d'apposition des mentions écrites conformément aux dispositions de l'article 1108 alinéa 2 du Code civil. Par conséquent, il conviendra que la mention soit datée, signée et liée indissociablement à l'acte.

III/ DISPOSITIONS SPECIFIQUES AUX ACTES AUTHENTIQUES ELECTRONIQUES DES HUISSIERS Conformément aux dispositions des articles 648 et suivants du N.C.P.C, la notification d'un jugement peut s'effectuer en la forme authentique par un huissier. Deux originaux doivent être distingués : le premier original dont l'huissier remet de la main à la main un copie sous forme papier au destinataire[25]. En revanche, le "second original", établi sous forme électronique peut être transmis à la personne ayant sollicité la notification de l'acte (un jugement par exemple), par la même voie de communication dans des conditions garantissant sa confidentialité, l'intégrité de l'acte, l'identité de l'expéditeur et celle du destinataire[26]. Enfin, l'huissier peut " établir une expédition sur support papier aux fins de signification ou d'exécution "[27] à partir de la version électronique des actes authentiques qu'on lui transmet. Cette possibilité préfigure les évolutions de la justice et notamment la réception d'un jugement envoyé par un avocat. Il reste que l'ensemble des décrets concernant les actes authentiques électroniques n'a pas encore été adopté, notamment pour l'état civil et les décisions de justice. Affaire à suivre

Notes [1] J.O. du 14 mars 2000. V. E. A. Caprioli, Ecrit et preuve électroniques dans la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, JCP, éd. E, Cah. Dr. Entrep., n°2, année 2000, p. 1 et s ; P.-Y. Gautier et X. Linant de Bellefonds, De l'écrit électronique et des signatures qui s'y attachent, JCP, éd. G, 2000, n° 24, p. 1113 et s. ; P. Leclercq, Le nouveau droit civil et commercial de la preuve et le rôle du juge, Comm. Com. électr. 2000, chr. n°9. [2]Décret n° 2005-973 du 10 août 2005, J.O. n°186 du 11 août 2005, p.13096. [3] Décret n° 2005-972 du 10 août 2005, J.O. n°186 du 11 août 2005, p.13095. [4] Article 20 du décret n° 71-941. [5] Article 28 du décret n° 56-222 (remise des actes dressés sur support électronique qui doivent être édités sur support papier). [6] V. E. A. Caprioli, Droit et technique au service de la confiance, Culture Droit, n°2, avril-mai 2005, p. 37 et s. [7] Article 16 du décret n° 71-941, article 26 du décret n° 56-222. [8] Article 17 du décret n° 71-941, article 26 alinéa 3 du décret n° 56-222. [9] V. E. A. Caprioli, Commentaires du décret n°2001-272 du 30 mars 2001 relatif à la signature électronique, Revue de Droit Bancaire et Financier, n°3, mai-juin 2001, n°105, p. 155 ; L. Jacques, Le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 relatif à la signature électronique, JCP, éd. G, 2001, Aperçu rapide, p. 1601. [10] Pour de plus amples détails, v. E. A. Caprioli, Signature et confiance dans les communications électroniques en droits européen et français, in Mélanges Le Tourneau, à paraître. [11] Article 2 du décret du 30 mars 2001. [12] Article 37 du décret n° 71-941, article 28 alinéa 2 du décret n° 56-222. [13] Article 8 alinéa 2 du décret n° 71-941, article 26 du décret n° 56-222. [14] Article 28 du décret n° 71-941, article 29 du décret n° 56-222. [15] Pendant cette période de quatre mois, leur conservation est assurée au moyen du système informatique agréé de l'huissier (article 29-4 alinéa 3 du décret n°56-222). [16] Article 28 alinéa 3 du décret n° 71-941, article 29-4 alinéa 4 du décret n° 56-222. [17] Article 28 alinéa 2 du décret n° 71-941, article 29 alinéa 2 du décret n° 56-222. [18] Article 23 du décret n° 71-941, article 29-3 du décret n° 56-222. [19] Article 9 du décret n° 2005-973. [20] Article 20 alinéa 1 du décret n° 71-941. [21] Article 20 alinéa 4 du décret n° 71-941. [22] V. à propos d'une signature manuscrite scannée : CA Besançon, 20 octobre 2000, E. A. Caprioli et P. Agosti, note sous arrêt, JCP éd. G, 2001, II, 10606, p. 1890 et s. [23] Article 33 du décret n° 71-941. [24] Article 30 du décret n° 71-941. [25] Article 28 du décret n°56-222. [26] Article 27 du décret n° 56-222. [27] Article 29-6 du décret n° 56-222.


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  • Ajouté : 13-08-2009
  • Modifié : 25-11-2013
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