Lundi 04 Novembre 2013
L'archivage des documents électroniques

Citation : Eric A. Caprioli, L'archivage des documents électroniques, https://www.caprioli-avocats.com Première publication : Dossier contrat électronique, Journal des sociétés, janvier 2004, p. 16 Date de la mise à jour : décembre 2003. L'archivage des documents électroniques Caprioli & Associés contact@caprioli-avocats.com


Plan I/ INCIDENCE DES EXIGENCES D'IDENTIFICATION ET D'INTEGRITE SUR LA CONSERVATION DES DOCUMENTS ELECTRONIQUES II/ LES AMENAGEMENTS PREVUS A L'ARTICLE 1316-2 DU CODE CIVIL Notes


Archiver des actes ou des contrats électroniques correspond à l'idée de pérennité de l'information contenue dans ces documents avec la possibilité de la restituer intacte, c’est à dire identique à ce qu’elle était à son origine [1]. De plus, cette opération visant à conserver des données ayant une valeur probatoire ou des effets juridiques concerne toutes les personnes juridiques sans exception, qu'elles soient physiques, morales, privées ou publiques. Ainsi, la conservation répond à deux objectifs principaux : soit elle porte sur des documents servant de pièces justificatives dans le cadre de contrôles administratifs (ex : fiscal ou sécurité sociale), soit elle permet la production d'actes juridiques (ex : contrats) valant preuve pour la reconnaissance de droits en cas de litige. Le système probatoire français s'organise autour de la preuve libre et de la preuve légale. La première permet de prouver par tous moyens les faits juridiques, les transactions civiles d’un montant inférieur à 800 euros et les transactions entre commerçants [2]. La preuve libre est également la règle en droit administratif. En telles hypothèses, le juge apprécie la confiance à accorder aux moyens de preuve débattus devant lui. Dans la seconde, les moyens de preuve sont imposés par la loi, étant noté que jusqu'à la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, la primauté de la preuve littérale affirmée par l'article 1341 du Code civil, se caractérisait par l'assimilation de fait entre l'écrit et son support traditionnel, le papier. Avec la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et de la communication et relative à la signature électronique [3], le législateur a redéfini la preuve littérale et intégré dans notre système probatoire les écrits sous forme électronique. Désormais, sous réserve du respect de certaines conditions, l'équivalence de force probante entre les écrits sous forme papier et les écrits sous forme électronique est consacrée. Cette évolution renvoie directement à la question de la conservation des documents électroniques. En effet, la preuve d’un acte juridique n’a de sens que si l’on est en mesure de la conserver et de la restituer en cas de besoin. La problématique posée par l'archivage électronique naît alors de la combinaison des conditions légales de la conservation et des exigences propres à l'archivage sous forme électronique. Sous l'angle juridique, la difficulté majeure soulevée par l'archivage réside dans l'absence de règle uniforme de conservation. Avec la loi du 13 mars 2000, la condition de l'intelligibilité est exigée d'une façon générale par l'article 1316 du Code civil. Ce texte dispose en effet : " La preuve littérale ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission." En d'autres termes, peu importe la forme de l'information, l'essentiel étant qu'elle soit restituée de façon intelligible par l'homme et non par la machine. L'archivage électronique devra respecter les durées de conservation prescrites par les textes en fonction de la nature de l’acte en cause et des délais de prescription. Par exemple, les actes authentiques électroniques prévus à l’article 1317 du Code civil doivent être conservés sans limitation de durée. Ainsi, s'agissant des délais, il ressort que la conservation électronique doit gérer des durées qui se situent entre six mois et l'infini et qu’il est impossible de généraliser son analyse juridique et son traitement. Si le législateur donne une portée générale à la reconnaissance de la valeur probante des écrits électroniques [4], il la conditionne notamment par la conservation qui en est faite. L'article 1316-1 du Code civil dispose en effet : "L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité." Il ressort de ce texte que la preuve littérale sous forme électronique est admise à une double condition : l'identification de l’auteur à qui l'acte est imputé et la garantie de son intégrité. Force est de constater que si la loi vise la conservation des documents électroniques, elle ne traite pas des formes et des modalités d'archivage. On ne peut qu'adhérer à une telle solution dans la mesure où la loi ne pouvait faire une quelconque référence à une technologie particulière. A défaut, non seulement elle n'aurait pas respecté le principe de neutralité technologique, mais au surplus, eu égard à la célérité des évolutions technologiques, elle aurait risqué d'être rapidement obsolète. Au demeurant, il est intéressant de relever qu'aucun texte n'a prescrit les conditions de conservation des écrits "papier" en imposant par exemple l'utilisation de méthodes contre les insectes, les bactéries, les incendies, ... Toutefois, la loi pose des exigences ayant des conséquences directes sur la conservation des documents électroniques (I). Par ailleurs, le législateur a posé certains aménagements qui méritent attention dans la mesure où ils peuvent avoir des incidences sur l'archivage électronique (II). I/ INCIDENCE DES EXIGENCES D'IDENTIFICATION ET D'INTEGRITE SUR LA CONSERVATION DES DOCUMENTS ELECTRONIQUES En application de l'article 1316-1 du Code civil, il faut que la personne, auteur de l'acte, soit dûment identifiée. Cette caractéristique renvoie à la notion d'imputabilité de l'acte, c'est à dire à l'identification de l'auteur de l'acte et de son lien avec lui. Le texte impose à la preuve littérale sous forme électronique que l'intégrité de l'acte, dans tout son cycle de vie, c'est à dire de son établissement à sa conservation, soit garantie. Pour faire preuve, les écrits électroniques devront donc être conservés de façon intègre ; ce qui signifie que la conservation électronique doit garantir que l'acte archivé est la traduction de la volonté intacte de l'auteur et que la vérité dont l'acte est porteur doit pouvoir être rapportée à tout moment. L'identification et l'intégrité de l'acte électronique constituent donc les deux caractéristiques cumulatives exigées par la loi. Pour autant, l'article 1316-1 du Code civil ne renvoie pas à un décret en Conseil d'état pour déterminer les modalités à mettre en œuvre en matière de conservation. Toutefois, les dispositions de l'article 1316-4 alinéa 2 du Code civil relatives à la signature électronique précisent : "Lorsqu'elle est électronique, elle (la signature) consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat." On peut légitimement penser que lorsque l'acte sera signé électroniquement conformément aux dispositions prévues par le décret du 30 mars 2001, sa conservation devra préserver les fonctions essentielles de l’acte : identification et intégrité, c’est à dire qu’elle devra porter à la fois sur le document signé lui-même ainsi que sur les éléments permettant sa vérification (certificat électronique et liste de révocation des certificats). Aussi, sans rentrer dans le détail de la technologie utilisée, la loi lie la preuve des actes sous seing privé à la fiabilité du procédé de signature électronique utilisé. En ce sens, la "solidité" et la durabilité du lien entre la signature électronique et le message constitue un aspect fondamental. Il est à noter que le formalisme des actes authentiques électroniques qui doit être fixé par décret devra également retenir la spécificité de la signature des officiers publics qui "confère l'authenticité à l'acte." La conservation de chaque document variera selon les textes applicables. Par exemple, en matière de facture électronique, le nouveau dispositif légal et réglementaire résultant de l’article 17 de la LFR pour 2002 assure la transposition de la directive européenne du 20 décembre 2001 [5]. Ces dispositions prévoient des modalités spécifiques tant pour l’établissement que pour la conservation des factures (ex : autofacturation, sous-traitance de la facturation, exigences en matière de stockage, …). Actuellement, le procédé de signature électronique retenu par le décret est celui des signatures basées sur la cryptographie à clés publiques, dans la mesure où cette technologie assure l'intégrité du message signé grâce à la fonction "hash" ou "contrôle" qui consiste à faire avec un logiciel, un abrégé du message ("condensé") que l'on chiffre à l'aide de la clé privée de signature et que l'on lie logiquement au message électronique. En l'état actuel du contexte technologique et juridique, la fiabilité sera présumée en faveur des personnes qui auront recours aux services d’un tiers ayant fait l’objet d’une qualification et à des produits correspondant à des normes publiées au J.O.C.E [6]. C'est en ce sens qu'il est indispensable que les services d'archivage électronique prennent en compte l'activité des prestataires de services de certification électronique (P.S.C.E.), actuel rouage fondamental de la fiabilité des signatures électroniques. Le procédé de signature utilisé renvoie à la question de sa conservation. En outre, de même que pour l'intelligibilité, il est nécessaire d'entendre l'archivage électronique comme une conservation « active » à même de garantir la restitution de l'identification et de l'intégrité de l'écrit électronique. A défaut d'une adaptation des moyens d'archivage électronique aux évolutions technologiques, la sécurité et la durabilité (au sens "détection de toute altération ou modification ultérieure de l'acte") exigées de la conservation électronique pour garantir la force probante de l'écrit électronique risqueraient d'être amoindries. Ainsi, à titre d'exemple, selon les experts en cryptographie, le risque de casser des clés de 128 bits dans les cinq à dix ans n’est pas à négliger. En effet, si pour l'heure, le risque demeure limité il n'est pas écarté. Cela impliquera qu’il faille « resigner » périodiquement le document électronique pour être sûr de sa pérennité. En conséquence, il serait souhaitable que le service d'archivage proposé offre une conservation active des documents électroniques permettant de changer de support pendant la période de temps de conservation qui peut être plus ou moins longue selon les documents.

II/ LES AMENAGEMENTS PREVUS A L'ARTICLE 1316-2 DU CODE CIVIL L'article 1316-2 du Code civil dispose : "Lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support." Si cet article confirme l'équivalence probatoire entre écrit "papier" et écrit électronique, il pose dans le même temps deux aménagements au pouvoir reconnu au juge. En premier lieu, le législateur exclut l'équivalence probatoire lorsque la loi a prévu des exigences spécifiques. En ce sens, lorsque la loi impose que l'écrit soit manuscrit, ou que la signature soit manuscrite, la dématérialisation de l'acte ne sera pas légalement admise en tant que preuve. En conséquence, l'archivage électronique des documents dont la forme papier est exigée par des dispositions légales sera exclu. Dans le cadre d'une information générale, voire d'une mission de conseil, en cas d’intervention d’un tiers archiveur, il semblerait opportun qu’il attire l'attention de ses clients sur cet aspect de la loi. En second lieu, les dispositions du droit de la preuve n'étant pas d'ordre public, la jurisprudence avait admis la validité des conventions de preuve [7]. Avec l'article 1316-2 du Code civil, le législateur reconnaît la validité de telles conventions. De la sorte, les parties peuvent contractuellement décider de reconnaître la valeur probante des écrits électroniques qu'elles échangent et par là même les modalités de conservation de ces actes pour leur attribuer une force probante. Dès lors, la convention passée entre les parties est un moyen d'assurer la préconstitution de la preuve en prévoyant laquelle des parties assurera la conservation des actes électroniques conclus, sur quel support, pendant combien de temps, selon quelle modalité, ... De la sorte, si telle est la volonté des parties, le document électronique conservé par une des parties sur un support électronique conformément à leur accord constitue un moyen de preuve de leurs relations. Toutefois, il convient de noter que l'article 1316-2 vise "une convention valable entre les parties", et que cela implique une rédaction minutieuse et précise d’un tel contrat. Enfin, l’article 1316-2 confère au juge le pouvoir souverain d’apprécier quelle est la preuve littérale qui est la plus vraisemblable, et ce, en fonction du cas d’espèce qui lui est soumis. En pratique, le juge sera conduit à demander l’intervention d’un expert pour établir la preuve que l’écrit est ou n’est pas valable en tant que preuve, et ce notamment selon le mode de conservation mis en œuvre. Cette disposition reprend l'analyse du Conseil d'Etat qui, dans son rapport de 1998, intitulé "Internet et les réseaux numériques" avait souligné cet aspect. En ce sens, la Haute juridiction remarquait qu': "Il reviendra au juge, si la fiabilité de la signature ou la conservation sur support durable sont contestées, de procéder aux vérifications nécessaires par l'intermédiaire d'un expert …" en particulier avec " l'examen des circonstances de la production du message. Si le message est signé et conservé de façon durable, il sera admis en preuve dans des conditions identiques à un écrit original." La seule certitude est que l'archivage électronique doit garantir l'intelligibilité de l'acte conservé, son identification et son intégrité quelles que soient la durée et les modalités de conservation. Dans la pratique, les parties disposent d’ores et déjà sur le plan technique de la norme AFNOR Z 42-013, publiée en juillet 1999 et révisée en décembre 2001. Cette norme permet de stocker des documents sur des disques WORM (Write Once Read Many) non réinscriptibles, c’est à dire que l’on met en œuvre des supports offrant pour l’écriture une transformation irréversible. La norme préconise des formats d’encodage standards, de façon à ce que les utilisateurs puissent recourir à plusieurs sources d’outils de restitution (ex : format Tiff, Sgml avec ses variantes Xml et Html, Pdf). Les procédures opérationnelles du système d’archivage doivent être établies par écrit et documentées et le système d’archivage doit assurer la traçabilité des enregistrements et être audité périodiquement. La mise en place d’une solution d’archivage implique une forte imbrication des dimensions juridique, technique et organisationnelle qui doivent être menées de concert en fonction les besoins d’archivage des documents de l’organisation en cause (entreprises privées ou publiques, administrations, …). C’est pourquoi, dans de nombreuses hypothèses, les parties disposent des moyens juridiques et techniques pour archiver leurs documents électroniques contrairement à certaines idées reçues et répandues sur le marché. Notes [1] Pour aller plus loin, voir notamment : Eric Caprioli, Variation sur le thème du droit de l’archivage dans le commerce électronique, Petites affiches, du 18 août 1999 n° 164, p.4-11 (1ère partie) et du 19 août 1999 n°165, p.7-12 (2ème partie) ; Eric Caprioli, Traçabilité et droit de la preuve électronique, Droit et Patrimoine n°93, mai 2001, p.68-75. [2] Art. 109 du Code de commerce. [3] J.O. 14 mars 2000, p. 3968 [4] Article 1316-3 du Code civil. [5] Décret du 18 juillet 2003 et Instruction fiscale du 7 août 2003. [6] J.O.C.E du 17 juillet 2003. [7] Cass. civ., 1ère, 8 novembre 1989, affaire Crédicas.


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  • Ajouté : 04-11-2013
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