Dimanche 16 Août 2009
Introduction au management juridique de l'innovation

Citation : Eric A. Caprioli, Introduction au management juridique de l'innovation, Journal des Sociétés n°45 - https://www.caprioli-avocats.com Date de la mise à jour : octobre 2007 Introduction au management juridique de l'innovation Eric A. Caprioli, docteur en droit, avocat à la Cour, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des Technologies innovantes Caprioli & Associés, société d'avocats (Nice, Paris) contact@caprioli-avocats.com


Au XXIème siècle, l'innovation se manifeste au travers des Technologies de l'information et des communications électroniques mais aussi des bio-technologies, du développement durable, des énergies, des nanotechnologies[1], des produits pharmaceutiques ou cosmétiques[2], etc. Socialement, l'innovation est porteuse de progrès et d'emplois ; tous les secteurs de l'activité économique en bénéficient (agro-alimentaire, automobile, loisirs, santé, défense, ...). Elle impacte directement la sphère marchande (marché national, européen, ...) et la sphère publique (recherche et services publics de l'Etat et des collectivités territoriales). Mais l'innovation constitue un actif pérenne de l'entreprise sous réserve d'être protégée et donc de pouvoir être exploitée, valorisée. Ceci explique sans doute pourquoi le droit intervient pendant tout le cycle de vie de l'innovation : de sa conception à son exploitation jusqu'au terme du cycle. Le management juridique de l'innovation est un des facteurs clés de la réussite du projet, de l'entreprise ; il suppose un accompagnement sur le plan de la protection de l'innovation pour faire face à la concurrence, ainsi que sur celui du montage juridique et fiscal de la structure sociale (la société) laquelle va être titulaire des droits. En outre, la valorisation des produits et services innovants passe par leur exploitation et leur commercialisation. LA PROTECTION JURIDIQUE DE L'INNOVATION L'innovation est protégée par le secret et par le droit de la propriété intellectuelle (PI) qui peut revêtir plusieurs formes. La PI se compose des droits de propriété industrielle (brevets d'invention, marques, dessins & modèles) qui sont protégés par le dépôt auprès de l'INPI et des droits d'auteur (textes, musiques, peintures, logiciels, …) qui s'acquièrent sans formalisme préalable sous réserve qu'ils soient protégeables et originaux. Toutefois, il convient de préciser que d'autres droits intellectuels existent tels que le savoir-faire, les bases de données, les obtentions végétales, …, les signes distinctifs tels que les noms de domaine, dénominations sociales et noms commerciaux. Tous ces éléments juridiques créent des doits sur l'innovation au profit de l'entreprise. Ils participent à sa valeur. Ces protections permettent de valoriser l'innovation comme actif de la société (ex : brevet, logiciel) mais aussi de faire valoir des droits de propriété en justice en utilisant comme fondement l'action en contrefaçon (au civil comme au pénal) et en concurrence déloyale pour obtenir la cessation de l'atteinte et réparation du préjudice. Aussi, si les compétences des fondateurs ou de l'équipe (hommes clés) sont essentielles pour intéresser les investisseurs, ces derniers sont également très sensibles à la titularité des droits de la ou des innovation(s), sur laquelle (lesquelles) repose le chiffre d'affaires et le Business Plan. LE CADRE JURIDIQUE DE LA SOCIETE INNOVANTE • Lors de la création d'une société, il faut tout d'abord analyser le choix de la structure la plus adaptée aux objectifs des fondateurs : quelle forme sociale retenir (SAS, SA, SARL, ...) ? Selon l'option retenue, l'entrée d'un investisseur dans le capital social de l'entreprise sera plus ou moins facilitée. Ensuite, il est nécessaire de transcrire les choix stratégiques (capital et pouvoirs) dans les statuts et dans le pacte d'actionnaires (ou autres plan d'investissement), mais il s'agira aussi d'étudier la mise en place des plans de stock-options ou d'autres " incentives ". Les aspects juridiques porteront sur le financement de l'entreprise ou du projet de développement du produit. Dans les sociétés innovantes, l'introduction de partenaires dans le capital par le biais des " business angels " (Société Unipersonnelle d'Investissement à Risque par exemple) ou des sociétés de capital-risque (VC, fonds d'investissement, …) est une dimension stratégique à intégrer dès la création. De nombreux organismes publics sont susceptibles de concourir au démarrage de la société (incubateurs, Oseo-Anvar, Régions), à son développement (Pôle de compétitivité, Agence Nationale de la Recherche, …). Soulignons en cet endroit, l'importance du recensement de toutes les aides locales, régionales, nationales et européenne dont pourrait bénéficier l'entreprise. De plus, étant donné que la société est un assujetti fiscal, elle doit optimiser ses choix comptables et fiscaux en relation avec les produits ou services innovants (crédit d'impôts, amortissements liés à la création de sites internet[3], crédit d'impôt recherche, allègements fiscaux[4], exonération d'impôt forfaitaire annuel, pour les jeunes entreprises innovantes[5], etc.). A cet égard, l'innovation est un élément fondamental du patrimoine de l'entreprise, de sa valeur économique ; les droits incorporels afférents aux innovations sont inscrits à l'actif du bilan. Enfin sur le plan des contrats de travail, il conviendra de prendre en compte notamment les cessions de droits de propriété des salariés, la non-concurrence et la confidentialité. Mais il ne faudra pas oublier d'inclure de telles clauses dans les contrats avec les sous-traitants et dans les conventions de stages. L'ENCADREMENT JURIDIQUE DE LA VALORISATION DE L'INNOVATION La politique contractuelle relative à l'innovation passe par la conclusion d'accords de partenariats ou de coopération, de contrats commerciaux et de licences d'utilisation, ainsi que par des partenariats public-privé[6] pour le développement et l'exploitation d'innovations issues de la recherche publique. Cela concerne tous les contrats de l'entreprise avec ses partenaires publics et privés : licences, accords de R/D, etc… Là encore, une attention particulière devra être portée sur les cessions de droits issus de la recherche publique, spécialement depuis l'adoption de la loi n°2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (JO du 3 août 2006, p.11541) qui modifie considérablement le régime juridique des droits d'auteur des fonctionnaires (voir notamment l'article L. 111-1 du CPI)[7] et de la loi de programme n° 2006-450 du 18 avril 2006 pour la recherche (JO du 19 avril 2006, p. 5820 et s). Si des développements informatiques, objets d'un accord à finalité commercial, se fondent sur des licences de logiciels dits-libres (GNU/GPL, etc.), ce n'est que l'étude des licences en cause qui permettra de déterminer l'étendue des droits appartenant à l'entreprise innovante. L'audit juridique de l'innovation, c'est la vérification de la conformité légale (" compliance ") du produit ou service innovant pouvant s'avérer indispensable dans de nombreux cas de figure : investissement, financement, .... On parle, pour reprendre la terminologie anglo-saxonne, de " legal opinion " ou opinion juridique. L'audit de conformité peut également porter sur les éléments de propriété intellectuelle qui protègent déjà l'innovation ou qui doivent être intégrés dans la stratégie de propriété intellectuelle et industrielle de l'entreprise. En principe, ces vérifications de la conformité juridique sont également diligentées lors d'un investissement dans le cadre des opérations de fusions et d'acquisitions (" Merger & Acquisition "[8]). Envisagé sous cet angle, leur objet consiste à valider les protections en terme de propriété intellectuelle (brevets, marques, dessins et modèles, droits d'auteur, logiciels, bases de données) et la conformité juridique du produit ou service proposé, objet de l'investissement ou du financement. Il sera ici question de vérifier la véracité des allégations de l'entrepreneur qui recherche des fonds. Au final, ce qui est en cause avec le management juridique de l'innovation, c'est le patrimoine immatériel de l'entreprise que l'on se situe dans le cadre d'un investissement dans une société innovante ou dans celui de la création, du développement et de la commercialisation d'un produit ou d'un service. On l'aura compris, la prise en compte de la dimension juridique doit être considérée comme un prérequis incontournable pour toute entreprise innovante. Elle conditionne la transmission du capital, la titularité des droits de propriété intellectuelle. Le droit est un carrefour, un point de passage obligatoire, où convergent la science et les techniques, la finance, le marketing, le commercial et les ressources humaines. Le Droit est et reste avant tout une " science " de l'organisation[9].

Notes [1] V. pour une application particulière, Eric A. Caprioli, Pascal Agosti, Les RFID et le droit, Confidentiel & Sécurité, décembre 2005, p. 2 et s. V. également le dossier sur les nanotechnologies, Revue Technology review, avril-mai 2007, p. 26 et s. [2] V. l'ouvrage précurseur de Christophe Roquilly, Le droit des produits cosmétiques, Paris, Economica, 1991. [3] V. en ce sens l'instruction fiscale 4 c-4-03 n°8 du 9 mai 2003, Dispositions diverses (BIC, IS, Dispositions communes). Frais et charges. Dépenses engagées lors de la création de sites internet, BOI du 9 mai 2003. [4] V. le décret n ° 2004-581 du 21 juin 2004 pris en application de l'article 131 de la loi de finances pour 2004 (n° 2003-1311 du 30 décembre 2003) instituant une exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale en faveur de la jeune entreprise innovante, J.O. du 22 juin 2004. [5] Créées par l'article 131 de la loi n°2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004, JO du 31 décembre 2003. [6] Ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, JO du 19 juin 2004 , p. 10994 et s. [7] V. Dossier spécial sur La loi n°2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, Communication, commerce électronique (éd. LexisNexis), n°11, Novembre 2006 et le site : www.caprioli-avocats.com. [8] Voir concernant les opinions juridiques, Fabrice Baumgartner, Pierre Mousseron, Blanchiment, contrats et opinions juridiques, JCP éd. E, 2006, 2429, p. 1671 et s. [9] Jean Paillusseau, Le droit est "aussi" une science d'organisation (et les juristes sont parfois des organisteurs juridiques), R.T.D.com., 1989, p.1.


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  • Ajouté : 16-08-2009
  • Modifié : 25-11-2013
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